Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/431

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je serais revenu souvent les entendre. J’ai eu le bonheur d’être formé par plus d’un jésuite du caractère du Père Porée, et je sais qu’il a des successeurs dignes de lui. Enfin, pendant les sept années que j’ai vécu dans[1] leur maison, qu’ai-je vu chez eux ? la vie la plus laborieuse, la plus frugale, la plus réglée, toutes leurs heures partagées entre les soins qu’ils nous donnaient et les exercices de leur profession austère. J’en atteste des milliers d’hommes élevés par eux comme moi ; il n’y en aura pas un seul qui puisse me démentir. C’est sur quoi je ne cesse de m’étonner qu’on puisse les accuser d’enseigner une morale corruptrice[2]. Ils ont eu, comme tous les autres religieux, dans des temps de ténèbres, des casuistes qui ont traité le pour et le contre des[3] questions aujourd’hui éclaircies, ou mises en oubli. Mais, de bonne foi, est-ce par la satire[4] ingénieuse des Lettres provinciales qu’on doit juger de leur morale ? C’est assurément par le Père Bourdaloue, par le Père Cheminais, par leurs autres prédicateurs, par leurs missionnaires.

Qu’on mette en parallèle les Lettres provinciales et les Sermons[5] du Père Bourdaloue, on apprendra dans les premières l’art de la raillerie, celui de présenter des choses indifférentes sous des faces criminelles, celui d’insulter avec éloquence ; on apprendra, avec le Père Bourdaloue, à être sévère à soi-même, et indulgent pour les autres. Je demande alors de quel côté est la vraie morale, et lequel de ces deux livres[6] est utile aux hommes.

J’ose le dire : il n’y a rien de plus contradictoire, rien de plus honteux pour l’humanité, que d’accuser de[7] morale relâchée des hommes qui mènent en Europe la vie la plus dure, et qui vont chercher la mort au bout de l’Asie et de l’Amérique. Quel est le particulier qui ne sera pas consolé d’essuyer des calomnies, quand un corps entier en éprouve[8] continuellement d’aussi cruelles ? Je voudrais bien que l’auteur de ces libelles pitoyables, dont nous sommes fatigués, vînt un jour aux pieds d’un jésuite au tribunal de la pénitence, et que là il fît un aveu sincère de sa conduite,

  1. In-8° : « en. »
  2. In-8° : « corruptible. »
  3. In-8° : « de. »
  4. In-8° : « satire des Lettres. »
  5. In-8° : « de Bourdaloue. »
  6. In-8° : « est le plus utile aux hommes. J’ose le dire : il n’y a rien de plus contradictoire, ni de plus inique, rien de plus honteux pour l’humanité, d’accuser… »
  7. In-8° : « d’une morale. »
  8. In-8° : « en reçoit. »