Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/471

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cusait de faire cet envoi. C’est ce qui m’a déterminé à presser les copistes, et à leur faire quitter tout autre ouvrage. J’ai donc porté l’Histoire de Louis XIV chez le correspondant du sieur Jordan, et Votre Majesté la recevra probablement avec cette lettre.

Si vous aviez, sire, daigné vous adresser à moi, vos ordres n’en auraient pas été, à la vérité, exécutés plus tôt, puisqu’il a fallu le temps d’envoyer à Cirey ; mais vous m’auriez donné une marque de confiance et de bonté que j’étais en droit d’attendre. Car, quoique ma destinée m’ait forcé de vivre loin de votre cour, elle n’a pu assurément rien diminuer des sentiments qui m’attacheront à vous jusqu’au dernier jour de ma vie.

Non-seulement je vous envoie, sire, cette Histoire ; mais je ferai tenir aussi à Votre Majesté la tragédie de Sémiramis, que j’avais faite pour la dauphine, qui nous a été enlevée[1]. Je n’ai pu vous donner la Pucelle[2] ; il faudrait pour cela user de violence, et la violence n’est bonne qu’avec les pandours et les housards. C’est malgré moi que je ne remets pas entre vos mains tout ce que j’ai pu jamais faire ; il est juste que l’homme de la terre le plus capable d’en juger en soit le possesseur. Je ne crois pas que dorénavant ma santé me permette de travailler beaucoup ; je suis tombé enfin dans un état auquel je ne crois pas qu’il y ait de ressource. J’attends la mort patiemment, et si Votre Majesté veut le permettre, j’aurai soin que tous mes manuscrits vous soient fidèlement remis après ma mort, et Votre Majesté en disposera comme elle voudra. C’est déjà pour moi une idée bien consolante de penser que tout ce qui m’a occupé pendant ma vie ne passera que dans les mains du grand Frédéric.

Je sais que Votre Majesté a ordonné au sieur Thieriot de lui envoyer toutes les éditions qu’il aura pu recouvrer mais elles sont toutes si informes et si fautives qu’il n’y en a aucune que je puisse adopter. Celle des Ledet est une des plus mauvaises et surtout leur sixième volume[3] serait punissable si on savait en Hollande punir la licence des libraires.

Votre Majesté ne sera peut-être pas fâchée d’apprendre que les armes du roi mon maître, et ses succès en Flandre, ont prévenu de nouvelles prévarications de la part des libraires hollan-

  1. Le 22 juillet 1746.
  2. Le roi en avait depuis longtemps six chants ; voyez la lettre 1611.
  3. Ce sixième volume, daté de 1745, et donné comme suite à l’édition de 1738-1739, quatre volumes, contient des lettres de Frédéric à Voltaire, et de ce dernier à Frédéric.