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Adieu, le plus aimable de tous les hommes. Mme du Châtelet vous fait les plus sincères compliments.



1850. — À M. DE LA PLACE[1].
Vis-à-vis la barrière des Sergents,
à Paris, 26 novembre.

On me renvoie, monsieur, de Versailles une lettre que vous m’aviez fait l’honneur de m’adresser à Fontainebleau. Je la reçois dans le moment, et je me hâte de vous dire combien je m’intéresse à vos succès.

Je fis mon devoir dès que je sus que vous étiez le premier en date, et je le ferai encore dès qu’il s’agira de joindre mon suffrage à tous ceux que vous allez mériter.

Je suis idolâtre du progrès des arts. Les succès des autres

    d’en avoir entièrement joui, mais j’en suis vraiment enivré. J’ai lu et relu le Newtonianisme, et toujours avec un nouveau plaisir. Vous savez bien qu’il n’y a personne qui s’intéresse plus que moi à votre gloire ; daignez vous rappeler que ma voix fut la première trompette qui fit retentir dans les oreilles françaises le mérite de votre livre, avant qu’il fût livré au public. Votre septuple lumière* offusque les yeux de nos cartésiens, et l’Académie des sciences, encore enveloppée dans ses tourbillons, me paraît trop peu hâtive à donner à votre bel et mal traduit ouvrage les applaudissements qui lui sont dus. Mais il y a deux choses qui domptent toujours les récalcitrants : la vérité et la beauté. Vous avez vaincu avec ces armes ; mais je me plaindrai toujours que vous ayez dédié le newtonianisme à un vieux cartésien qui n’entend pas un mot aux lois de la gravitation. J’ai lu avec le même plaisir votre dissertation sur les sept petits et mal connus rois romains ; vous l’avez écrite dans votre jeunesse, mais vous étiez déjà mûr d’esprit et de science. Avez-vous par hasard connaissance d’un volume écrit en Allemagne, il y a une vingtaine d’années, par un Français sur la même matière ? Il y a là de sagaces investigations, mais je ne me rappelle pas le nom de l’auteur.


    J’ai lu six fois votre épltre à M. Zeno. Oh ! combien se hausse un tel vol pardessus tous les faiseurs de sonnets de la paresseuse Italie ! Voilà donc trois ouvrages tout à fait différents de sujet et de style. « Tenant trois royaumes ! » Il n’y a point au monde un talent aussi varié et aussi universel. Ceux qui vous lisent se figurent que vous êtes né seulement pour chaque chose que vous traitez.

    Je regrette beaucoup de ne pas accompagner le duc de Richelieu. Je me flattais de voir à Dresde notre dauphine, la cour magnifique d’un roi aimé de ses sujets, un grand ministre et le comte Algarotti ; mais ma languissante santé a détruit toutes ces espérances charmantes. N’oubliez pas l’affaire que je vous ai recommandée, la protection d’une mère est la plus efficace auprès d’une fille, et j’espère un heureux résultat avec votre appui. Je baise de grand cœur la main qui a écrit tant de belles choses.

    **. Allusion à la théorie des sept couleurs de la lumière.

  1. Cette lettre, classée par les éditeurs de Cayrol et François à l’année 1747, nous semble être de 1746. Il s’agit ici de la Venise sauvée, de de La Place, qui fut jouée le 5 décembre de cette année-là. (G. A.)