Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome36.djvu/95

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Est-il vrai qu’Euler est à Berlin ? Vient-il faire une académie au rabais ? Le comte Algarotti vous a-t-il écrit ? Je m’imagine que la même âme charitable qui m’avait fait une tracasserie avec votre très-vive philosophie m’en a fait une avec sa politique.

Le roi m’écrit toujours comme à l’ordinaire, et dans le même style. Keyserlingk est toujours malade à Berlin, où je crois qu’il s’ennuie, et où probablement vous ne vous ennuierez plus. On dit que vous allez dans un lieu beaucoup plus agréable, et chez une dame[1] qui vaut mieux que tous les rois que vous avez vus. Il n’y a pas d’apparence que celle-là devienne wolffienne.

Plus on lit, plus on trouve que ces métaphysiciens-là ne savent ce qu’ils disent ; et tous leurs ouvrages me font estimer Locke davantage. Il n’y a pas un mot de vérité, par exemple, dans tout ce que Malebranche a imaginé ; il n’y a pas jusqu’à son système sur l’apparente grandeur des astres à l’horizon qui ne soit un roman. Smith a fait voir, en dernier lieu, que c’est un effet très-naturel des règles de l’optique[2]. Votre vieille Académie sera encore bien fâchée de cette nouvelle vérité découverte en Angleterre. Cependant Privat de Molières (qui ne vaut pas Poquelin de Molière) approfondit toujours le tourbillon, et les professeurs de l’Université enseignent ces chimères ; tant les professeurs de toute espèce sont faits pour tromper les hommes !

Bonsoir. Mme  du Châtelet, qui dans le fond de son cœur sent bien que vous valez mieux que Wolff, vous fait des compliments dans lesquels il y a plus de sincérité que dans ses idées leibnitziennes. Je suis à vous pour jamais.

1466. — À M. DE FORMONT.
À Bruxelles, le 10 août.

Mon cher ami, il me semble que si je vivais entre vous et notre aimable Cideville, j’en aimerais mieux les vers et je les ferais meilleurs. Je suis charmé que vous ayez lu avec lui mon fripon de Prophète, et que vous soyez de même avis. Il ne faudrait jamais rien donner au public qu’après avoir consulté gens comme vous. Je ne regarde la tragédie que vous avez lue que comme une ébauche. Je sentais qu’il y avait dans cet embryon

  1. Mme  la duchesse d’Aiguillon douairière. (K.)
  2. La solution de Smith, bien examinée, se trouve être la même que celle de Malebranche. (K.) Voyez la note de la page 476 du tome XXII.