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Envoyez-moi un petit mot pour l’abbé Raynal[1], par lequel vous l’instruirez de la manière dont il faut s’y prendre ; il attend vos ordres et vos bontés. Quant à moi, monsieur, je compte être bientôt plus heureux que vos correspondants, j’espère vous voir. Il faut, avant que je meure, que je me mette encore aux pieds de ce grand homme si simple, de ce philosophe roi si aimable. Je sais bien qu’il est ridicule que je voyage dans l’état où je suis, mais les passions font tout faire. Autant vaut, après tout, être malade à Berlin qu’à Paris. Et s’il fallait partir de ce monde, il me semble qu’on prend congé dans ce pays-là avec des cérémonies moins lugubres que dans le nôtre. En un mot, si j’ai seulement la force de me mettre dans un carrosse, vous verrez arriver le Scarron tragique de son siècle, et je prendrai sur la route le titre de malade du roi de Prusse.

Adieu, monsieur ; si quelqu’un se souvient de moi, recommandez-moi à lui ; surtout, conservez-moi votre amitié.


2079. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 25 avril.

J’espérais qu’au premier signal
Les Grâces et votre génie
Viendraient sans cérémonial
Réveiller ma muse assoupie ;
Mais de ce bonheur idéal
L’espérance est évanouie,
Et, dans ce séjour martial,
D’Arnaud, votre charmant vassal,
N’est arrivé qu’en compagnie
De sa muse aimable et polie.
Lorsqu’on n’a point l’original,
Heureux qui retient la copie !

Il est enfin venu, ce d’Arnaud qui s’est tant fait attendre. Il m’a remis votre lettre, ces vers charmants qui font toujours honte aux miens ; et je redouble d’impatience de vous revoir. À quoi sert-il que la nature m’ait fait naître votre contemporain, si vous m’empêchez de profiter de cet avantage ?


Depuis deux mille ans nous lisons
Les vers de Virgile et d’Horace ;
Avec eux plus ne conversons.
Qui pourrait les voir face à face
S’instruirait bien par leurs leçons.

  1. Frédéric ne voulut pas de Raynal pour correspondant ; il fit choix de l’auteur dramatique Pierre Morand.