Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/136

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mands et les Hollandais sont bien bons de lire ces fadaises. Voilà une plaisante façon de connaître notre nation. J’aimerais autant juger de l’Italie par la troupe italienne qui est à Paris.

Je voudrais pouvoir porter dans votre Parnasse royal la comédie de Mme Denis. C’est une terrible affaire que de faire huit cents lieues d’allée et de venue, à mon âge, avec les maladies dont je suis lutiné sans relâche. Un jeune homme comme vous peut tout faire gaiement pour les belles et pour les rois ;


Mais un vieillard fait pour souffrir,
Et tel que j’ai l’honneur de l’être,
Se cache, et ne saurait servir
Ni de maîtresse ni de maître.

Il n’y a au monde que Frédéric le Grand qui pût me faire entreprendre un tel voyage. Je quitterais pour lui mon ménage, mes affaires, Mme Denis ; et je viendrais, en bonnet de nuit, voir cette tête couverte de lauriers. Mais, mon cher enfant, j’ai bien plus besoin d’un médecin que d’un roi. Le roi de Sardaigne a envoyé chercher l’abbé Nollet par une espèce de maître d’hôtel qui lui donnait des indigestions sur la route ; il faudrait que le roi de Prusse m’envoyât un apothicaire.

Vous me faites quelque plaisir en me disant que mon cher Isaac[1] a des vapeurs ; je mettrais les miennes avec les siennes. On dit que M. Darget n’est pas encore consolé ; ma tristesse n’irait pas mal avec sa douleur. Je me remettrais à la physique avec M. de Maupertuis ; je cultiverais l’italien avec M. Algarotti ; je m’égayerais avec vous ; mais que ferais-je avec le roi ?


Hélas ! quelle étrange folie
D’aller au gourmet le plus fin
Présenter tristement la lie
Et les restes de mon vieux vin !
Un danseur avec des béquilles
Dans les bals se présente peu ;
La Pâris[2] veut des jeunes filles ;
Les vieilles sont au coin du feu ;
J´y suis, et j’en enrage. Adieu.

  1. Le marquis d’Argens.
  2. Célèbre abbesse, comme dit Rousseau,
    D’un monastère à Vénus consacré.
    (Note de Palissot.)