Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/16

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ou quelque chose de semblable, cette faute ne subsistera plus.


Un monarque insensible et presque inanimé,
D’un marbre dur et blanc doit bien être estimé.

Il semble par cette construction que le monarque doive être estimé par un marbre dur et blanc. On peut aisément corriger cette faute.

Vous voyez que je ne suis pas si courtisan, et que je vous dis la vérité, parce que vous en êtes digne. C’est avec la même sincérité que je vous dirai combien j’admire cette épitre, la sagesse qui y règne, le tour aisé et agréable, les vers bien frappés, les transitions heureuses, tout l’art d’un homme éloquent, et toute la finesse d’un homme dont l’esprit est supérieur. Vous êtes le seul homme sur la terre qui sachiez employer ainsi votre peu de loisir. C’est Achille qui joue de la flûte, en revenant de battre les Troyens. Les Autrichiens valent bien les troupes de Troie, et votre lyre est bien au-dessus de la flûte d’Achille.

Voilà une lettre bien longue, pour être adressée à un roi, et pour être écrite par un malade ; mais vous me ranimez un peu. Votre génie et vos bontés font sur moi plus d’effet que les pilules de Stahl.

J’ai pris la liberté de demander à Votre Majesté de ces pilules, parce qu’elles m’ont fait du bien ; je ne crois que faiblement aux médecins, mais je crois aux remèdes qui m’ont soulagé. Le roi Stanislas me donnait de bonnes pilules de votre royaume, à Lunéville. Il y a un peu d’insolence à faire de deux rois ses apothicaires, mais ils auront la bonté de me le pardonner.

Si la nature traite mon individu, cet été, comme cet hiver, il n’y a pas d’apparence que j’aie la consolation de me mettre encore aux pieds de l’immortel et de l’universel Frédéric le Grand. Mais, s’il me reste un souffle de vie, je l’emploierai à venir lui faire ma cour. Je veux voir encore une fois au moins ce grand homme. Je vous ai aimé tendrement, j’ai été fâché contre vous[1], je vous ai pardonné, et actuellement je vous aime à la folie. Il

  1. Frédéric avait lui-même pardonné difficilement à Voltaire, lors du second voyage de celui-ci à Berlin, en octobre 1743, de ne lui avoir pas sacrifié la marquise du Châtelet ; et c’est à ce mécontentement qu’on peut attribuer, au moins en partie, la diminution du nombre des lettres de ces deux grands hommes dans leur correspondance, entre 1743 et 1749. Mme  du Châtelet, de son côté, après avoir été excessivement tourmentée de la longueur du même voyage de Voltaire, commença dès lors à perdre de son attachement pour l’auteur de Zaïre, et finit par le sacrifier à Saint-Lambert, beaucoup plus jeune que le philosophe et que la marquise elle-même. (Cl.)