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trois heures de suite, qui soumet à la critique son grand génie, et qui est à souper le plus aimable des hommes, le lien et le charme de la société. Après cela, mes anges, rendez-moi justice. Qu’ai-je à regretter que vous seuls ? J’y mets aussi Mme  Denis. Vous seuls êtes pour moi au-dessus de ce que je vois ici. Je ne vous parlerai point aujourd’hui d’Aurèlie, et des éditions de mes œuvres dont on me menace encore de tous côtés. J’apprends du roi de Prusse à corriger mes fautes. Le temps que je ne passe pas auprès de lui, je le mets à travailler sans relâche autant que ma santé le permet. Ô sages habitants de Neuilly, conservez-moi une amitié plus précieuse pour moi que toute la grandeur d’un roi plein de mérite. Mon âme se partage entre vous et Frédéric le Grand.


2108. — À M. DARGET.
À Sans-Souci, ce 9 ou 10 … 1750.

Mon cher ami, vous êtes tout ébaubi de recevoir de moi une lettre datée de Sans-Souci. Madame la margrave a bien voulu permettre que j’eusse l’honneur de l’y suivre ; mais, par malheur, elle y a eu un accès de fièvre. Si le maître de la maison eût été là[1], elle n’y serait pas tombée malade. J’ai apporté avec moi le troisième tome du philosophe de la vigne.


Ma foi, plus je lis, plus j’admire
Le philosophe de ces lieux :
Son sceptre peut briller aux yeux,
Mais mon oreille aime encor mieux
Les sons enchanteurs de sa lyre.
Ce feu, que dans les cieux vola
Le demi-dieu qui modela
Notre première mijaurée ;
Ce feu, cette essence sacrée
Dont ailleurs assez peu l’on a,
Est donc tout en cette contrée !
Ou bien, du haut de l’Empyrée
L’esprit d’Horace s’en alla
Sur le rivage de la Sprée,
Et sur le trône d’Attila ;
Le feu roi, s’il voyait cela.
En aurait l’âme pénétrée.

Le philosophe de Sans-Souci n’aura pas quinze jours à employer à mettre ce volume dans sa perfection ; mais quand il y

  1. Si fuisses hic, frater meus non fuisset mortuus. (Jean. xi. 21.)