Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

charger le courrier. Cela vaut un peu mieux que les folies incohérentes de La Mettrie. Au reste, il demande s’il peut revenir en France, s’il peut y passer une année sans être recherché. Il prétend que quand on y a passé une année, on peut y rester toute sa vie. Je vous supplie, monseigneur, de vouloir bien me mander si le vin de Hongrie se gâte sur mer ; s’il ne se gâte pas, La Mettrie partira ; s’il se gâte, La Mettrie restera. Il ne vous en coûtera qu’un mot pour décider de sa fortune.

Pardon de ce volume dont je vous ennuie ; que ne puis-je vous ennuyer tête à tête, et vous dire combien je vous suis attaché !


2120. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Berlin, ce 1er septembre.

Ne m’écrivez jamais, mon divin ange, une lettre aussi cruelle que celle du 20 d’août. Vous me rendriez malade de chagrin, vous feriez mon malheur pour ma vie. Je vous écrivis, je vous rendis compte à peu près de tout, dans le temps que j’écrivis à ma nièce ; mais, dans le tumulte de tant de fêtes, dans un déplacement continuel, il arrive trop aisément qu’on vient vous enlever au milieu d’une lettre commencée et prête à cacheter ; on remet à la poste suivante, et il n’y a ici que deux postes par semaine ; souvent même les lettres d’une poste attendent à Wesel celles de l’autre, afin de faire un paquet plus fort. Ainsi il ne faut pas s’étonner de recevoir des nouvelles tantôt de dix, tantôt de vingt jours. Vous devez à présent être au fait ; vous devez savoir tout ce que j’ai mandé à ma nièce pour vous, comme vous aurez eu la bonté de lui communiquer ce que je vous ai écrit pour elle. Vous m’accusez de faiblesse ; comptez qu’il a fallu une étrange force pour me résoudre à achever mes jours loin de vous, et que j’ai été plus longtemps que vous ne pensez à me déterminer. Il n’y a pas d’apparence qu’après la lettre[1] du roi de Prusse, que vous avez vue, je puisse jamais me repentir de m’être attaché à lui ; mais certainement je me repentirai toute ma vie de m’être arraché à vous et à vos amis. Il est vrai que je n’aurai pas beaucoup d’autres regrets à dévorer. L’égarement et le goût détestable où le public semble plongé aujourd’hui ne doivent pas avoir pour moi de grands charmes. Vous savez d’ailleurs tout ce que j’ai essuyé. Je trouve un port après trente ans d’orages. Je trouve

  1. Du 23 août 1750.