Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/235

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aille mettre ordre à ses affaires temporelles, qu’il a trop longtemps négligées pour les affaires spirituelles du révérend père abbé. Mais je suis fort étonné que Votre Révérence n’ait pas reçu deux lettres de moi indigne, au lieu d’une. J’ai eu certainement l’honneur de vous écrire deux fois du prieuré de Potsdam. Il faut apparemment que la bénédiction du ciel ne favorise pas le commerce des moines aussi relâchés que nous le sommes. Votre Révérence fait de très-salutaires réflexions sur le dernier miracle. Elle sait combien les miracles sont quelquefois nécessaires. Il nous fallut autrefois en France une pucelle. Il a fallu souvent ailleurs tout le contraire. Ô signore, Ô signore ; filiogli in ogni modo. L’amour était le Saint-Esprit de l’antiquité. C’était lui qui se mêlait de ces affaires-là. Aujourd’hui ce sont des moines et des saints. Votre mythologie fait pitié. Il n’y a rien de si plat que ce qu’on appelle la catholicité.

Venons, madame, aux ordres que Votre Altesse royale me donne pour le marquis d’Adhémar. Je lui ai écrit et j’aurai l’honneur de vous rendre compte de sa réponse. Je suis persuadé qu’il sera bien sensible au bonheur d’être admis dans votre cour.

Il a une âme digne de la vôtre, et j’ose dire qu’il est fait pour monseigneur le margrave et pour vous. M. de Montperny trouvera en lui une société bien agréable. Il a d’ailleurs beaucoup de goût, il fait joliment des vers. Et par-dessus tout cela, c’est le plus honnête homme du monde comme le plus brave. Il est triste d’être obligé de parler à un homme de ce caractère de cette guenille qu’on nomme appointements et argent. Et c’est salir le papier que de fatiguer Votre Altesse royale de ces misères que sœur Guillemette méprise si fort ; mais ces guenilles étant absolument nécessaires dans ce monde-ci, et les rois comme les charbonniers ne pouvant rien faire du tout sans argent, j’en ai parlé dans ma lettre au marquis d’Adhémar. Je crois que Votre Altesse royale ne me désavouera pas. J’ai donc écrit que je pensais que quinze cents écus seraient à peu près ce qu’il faudrait. Il me semble que les appointements de M. de Montperny ne montent pas au delà, et qu’il ne faut pas donner lieu à la jalousie, même entre des personnes qui ne peuvent être jalouses. J’ai ménagé votre bourse, et j’ai fait violence à votre générosité en proposant quinze cents écus. Il n’y aura que vous, madame, et monseigneur le margrave, qui pouvez me gronder d’avoir offert peu. Mais mon ami M. d’Adhémar ne m’en grondera pas. En un mot, il ne peut jamais vivre dans une cour plus généreuse, et cette cour ne peut faire une plus noble acquisition. Je voudrais