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santé, à trois cents lieues de sa famille, est bien horrible ! Conservez la vôtre, et goûtez le bonheur d’être auprès de votre adorable maître.


2186. — À M. FORMEY.
Le 14 février.

Je vous demande en grâce, monsieur, de ne pas refuser aujourd’hui le petit dîner philosophique. Il faut absolument que nous mangions le rôt du roi philosophe. Vous serez aussi libre et aussi à votre aise que chez vous, et je serai charmé de pouvoir vous entretenir de suite. Ce ne serait point la peine d’être venu à Berlin pour ne pas profiter de votre société. Voyez si vous voulez que je vous envoie un carrosse, à deux heures précises. Vale ; c’est le plus beau des compliments.


2187. — À M. DARGET.
Berlln, 15 février 1731.

Mon cher ami, on a beau faire le plaisant, les maladies, telles que la diablesse qui me mine, sont comme les gens de mauvaise compagnie, qui n’entendent point raillerie. Milord Tyrconnell est encore plus mal que moi. Nous verrons à qui partira le premier. Je crois que cela se passera fort galamment de part et d’autre, et que nous ne mourrons point en imbéciles. Songez à vivre, vous qui êtes encore jeune, qui avez des ressources, et qui trouverez à Paris des remèdes. Mais, entre nous, je crois qu’il n’y en a point pour M. de Tyrconnell ni pour moi. Chaque être apporte en naissant le principe de sa destruction, et il faut aller ranimer la nature sous une autre forme quand le moment de la dissolution totale est venu : on meurt après avoir fait tout juste le nombre de folies, de sottises, après avoir eu le nombre d’illusions auxquelles on était destiné. J’ai rempli ma tâche assez complètement. J’ai peut-être encore cinq ou six mois à donner à la société ; je tâcherai de les employer gaiement. Le roi fait fort bien de lire des Montecuculli et des Turenne, il passe d’Horace et de Virgile à eux. Il a raison ; on aime ses semblables. Celui-là est d’une autre pâte que le reste des hommes. Il faudrait que les trois sœurs filandières qu’on appelle les Parques eussent un fil, pour lui, cinq ou six fois plus long que pour les autres humains. Il est ridicule qu’il n’ait qu’un corps quand il a plusieurs âmes. Je compte samedi venir mettre mon âme faible et misérable aux