Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps que ma mauvaise santé peut me laisser encore pour achever ce grand bâtiment dont j’ai tous les matériaux. Ne suis-je pas un bon Français ? N’est-il pas bien honnête à moi de faire ma charge quand je ne l’ai plus ?

Potsdam est plus que jamais un mélange de Sparte et d’Athènes. On y fait tous les jours des revues et des vers. Les Algarotti et les Maupertuis y sont. On travaille, on soupe ensuite gaiement avec un roi qui est un grand homme de bonne compagnie. Tout cela serait charmant ; mais la santé ? Ah ! la santé et vous, mon cher ange, vous me manquez absolument. Quel chien de train que cette vie ! Les uns souffrent, les autres meurent à la fleur de leur âge, et pour un Fontenelle, cent Guichard. Allons toujours pourtant : on ne laisse pas d’avoir quelques roses à cueillir dans ce champ d’épines. Monsieur sort tous les jours, sans doute, à quatre heures ; monsieur va aux spectacles, et porte ensuite à souper sa joie douce et son humeur égale ; et moi, tel j’étais, tel je suis, tenant mon ventre à deux mains, et ensuite ma plume ; souffrant, travaillant, soupant, espérant toujours un lendemain moins tourmenté de maux d’entrailles, et trompé dans mon lendemain. Je vous le dis encore, sans ces maux d’entrailles, sans votre absence, le pays où je suis serait mon paradis. Être dans le palais d’un roi, parfaitement libre du matin au soir ; avoir abjuré les dîners trop brillants, trop considérables, trop malsains ; souper, quand les entrailles le trouvent bon, avec ce roi philosophe ; aller travailler à son Siècle, dans une maison de campagne dont une belle rivière baigne les murs ; tout cela serait délicieux, mais vous me gâtez tout. On dit que je n’ai pas grand’chose à regretter à Paris en fait de littérature, de beaux-arts, de spectacle et de goût. Quand vous ne me croirez pas de trop à Paris, avertissez-moi, et j’y ferai un petit tour, mais après la clôture de mon Siècle, s’il vous plaît. C’est un préliminaire indispensable.

Adieu ; je vous écris en souffrant comme un diable, et en vous aimant de tout mon cœur. Adieu ; mille tendres respects et autant de regrets pour tout ce qui vous entoure.


2226. — À M. LE BARON DE MARSCHALL[1].

Je remercie bien tendrement M. le baron de Marschall. Cet abrégé chronologique est celui de Mézerai, et il y a apparence

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.