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CORRESPONDANCE.

Vous courez, sire, et je médite ;
Mais vous pensez plus en courant
Que moi dans mon logis d’ermite.
D’un œil surpris, d’un œil jaloux
L’Europe entière vous observe.
Vous courez ; mais Mars et Minerve
Voyagent en poste avec vous.

Je songe, dans mon ermitage,
À faire encore un peu d’usage
De mon esprit trop épuisé ;
À goûter, sans être blasé,
Ce qui reste de ce breuvage ;
À m’armer pour le long voyage
Dont m’avertit mon corps usé ;
À voir d’un œil apprivoisé
La fin de mon pèlerinage.
Mais, hélas ! il est plus aisé
D’être ermite que d’être sage.

La plupart des gens ne sont ni l’un ni l’autre. On court, on aime les grandes villes comme si le bonheur était là. Sire, croyez-moi, j’étais fait pour vous ; et, puisque je vis seul quand vous n’êtes plus à Potsdam, apparemment que je n’y étais venu que pour vous : ceci soit dit en passant.

J’envoie à Votre Majesté ce dialogue de Marc-Aurèle[1]. J’ai tâché de l’écrire à la manière de Lucien. Ce Lucien est naïf, il fait penser ses lecteurs, et on est toujours tenté d’ajouter à ses Dialogues. Il ne veut point avoir d’esprit. Le défaut de Fontenelle est qu’il en veut toujours avoir : c’est toujours lui qu’on voit, et jamais ses héros ; il leur fait dire le contraire de ce qu’ils devraient dire ; il soutient le pour et le contre ; il ne veut que briller. Il est vrai qu’il en vient à bout ; mais il me semble qu’il fatigue à la longue, parce qu’on sent qu’il n’y a presque rien de vrai dans tout ce qu’il vous présente. On s’aperçoit du charlatanisme, et il rebute. Fontenelle me paraît dans cet ouvrage le plus agréable joueur de passe-passe que j’aie jamais vu. C’est toujours quelque chose, et cela amuse.

Je joins à Marc-Aurèle deux rogatons que Votre Majesté n’a peut-être pas vus, parce qu’ils sont imprimés à la suite d’un grimoire sur le carré des distances, lequel n’est point du tout amusant.

  1. Voyez tome XXIII, page 479.