Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/339

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bien grand homme dans l’administration intérieure de son État. Je ne crois pas d’ailleurs qu’on puisse m’accuser d’avoir élevé le siècle passé aux dépens du siècle présent ; mais enfin quiconque écrit, et surtout sur des matières aussi délicates, a tout à craindre. Vous savez qu’on s’avisa de saisir le premier chapitre de cette histoire, quand je le donnai pour essayer le goût du public. Il n’y a peut-être jamais eu de persécution si injuste et si ridicule ; c’est aujourd’hui ce même chapitre qui a donné, j’ose le dire, à toute l’Europe l’envie de voir le reste. J’ai réfléchi trop tard sur l’acharnement de l’envie qui voulait exterminer un citoyen parce qu’il est le seul qui ait donné à sa patrie un poëme épique, et qu’il a réussi dans d’autres ouvrages qui ont plu à cette même patrie ? Et cette lâche envie ne se borne pas aux gens de lettres, elle s’étend aux plus indifférents. Le Français est de tous les peuples celui qui se plaît le plus à écraser ceux qui le servent, en quelque genre que ce puisse être.

Vous savez tout ce que j’ai essuyé. Si j’étais resté plus longtemps à Paris, on m’y aurait fait mourir de chagrin. Certainement il n’y avait pour moi d’autre parti à prendre que de m’enfuir au plus vite. Ce parti est cruel pour un cœur aussi sensible à l’amitié que le mien ; mais comptez que j’ai bien fait de le prendre. Dieu veuille que les cabales ne subsistent plus, et qu’elles ne se déchaînent pas contre Rome sauvée et contre l’histoire du Siècle ! J’enverrai incessamment à Mme  Denis le premier tome tout entier ; je vous donnerai encore Adélaïde toute refondue ; il n’était pas praticable de faire un parricide d’un prince du sang connu.


Quodcumque ostendis mihi sic, incredulus odi.


J’ai transporté la scène dans des temps plus reculés, qui laissent un champ plus libre à l’invention. La peinture des maires du palais, et des Maures qui ravageaient alors la France, vaudra bien Charles VII et les Anglais. Du moins, mon cher ami, je répare autant que je peux mon absence par de fréquents hommages ; j’aurais moins travaillé à Paris.

Adieu ; je vous recommande Rome et mon Siècle. Votre amitié, votre zèle, et mon éloignement, font beaucoup. Je me flatte que vous engagerez fortement M. de Richelieu dans votre parti. Je n’ai plus le temps d’écrire à ma nièce, cet ordinaire ; la poste va partir ; montrez-lui ma lettre, qui est pour elle comme pour vous. Ma santé est bien mauvaise ; mais je travaillerai jusqu’au dernier