Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/379

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resse comme moi à la vôtre, car j’aime la France, je regrette la perte du bon goût, et je vous suis véritablement attaché. Je compte aller prendre les eaux dès que le soleil fondra un peu nos frimas ; mais quelles eaux ? je n’en sais rien. Si vous en preniez, les vôtres seraient les miennes.

J’ai envoyé à ma nièce deux volumes où j’ai réformé, autant que je l’ai pu, tout ce que vous avez eu la bonté de remarquer dans le Siècle de Louis XIV. Je vous avertis très-sérieusement que, si on imprime cet ouvrage en France, corrigé selon vos vues, je vous le dédie, par la raison que si Corneille, vivait je lui dédierais une tragédie.

Permettez que je vous envoie deux-petits morceaux que j’ajoute à ce Siècle : ils sont bien à la gloire de Louis XIV. Je vous supplie, quand vous les aurez lus, de les envoyer à ma nièce, afin qu’elle les joigne à l’imprimé corrigé qu’elle doit avoir entre les mains.

Je vous avoue que j’ai peine à comprendre cet air d’ironie que vous me reprochez sur Louis XIV. Daignez relire seulement cette page imprimée, et voyez si on peut faire Louis XIV plus grand.

J’ai traité, je crois, comme je le devais, l’article de la conversion du maréchal de Turenne. J’ai adouci les teintes, autant que le peut un homme aussi fermement persuadé que moi qu’un vieux[1] généra], un vieux politique, et un vieux galant, ne change point de religion par un coup de la grâce.

Enfin j’ai tâché en tout de respecter la vérité, de rendre ma patrie respectable aux yeux de l’Europe, et de détruire une partie des impressions odieuses que tant de nations conservent encore contre Louis XIV et contre nous. Si j’en avais dit davantage, j’aurais révolté. On parle notre langue dans l’Europe, grâce à nos bons écrivains ; nous avons enseigné les nations, mais on n’en hait pas moins notre gouvernement ; croyez-en un homme qui a vu l’Angleterre, l’Allemagne, et la Hollande.

Si vous pouvez, par votre suffrage et par vos bons offices, m’obtenir la permission tacite de laisser publier en France l’ouvrage tel que je l’ai réformé, vous empêcherez que l’édition imparfaite, qui commence à percer en Allemagne, ne paraisse en France. On ne pourra certainement empêcher que les libraires de Rouen et de Lyon ne contrefassent cette édition vicieuse, et il vaut mieux laisser paraître le livre bien fait que mal fait.

Ces difficultés sont abominables. J’ai sans peine un privilège

  1. Voyez tome XIV, page 272.