Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/420

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faits. Il est ridicule d’en faire confidence au public. De quoi s’est avisé ce compilateur[1] des lettres de la reine Christine, de grossir son énorme recueil d’une lettre que j’écrivis il y a quelques années à la reine de Suède d’aujourd’hui ? Comment a-t-il eu cette lettre ? comment a-t-il pu en estropier les vers au point où il l’a fait ? Le public n’avait pas plus à faire de ces vers que de la plupart des lettres inutiles de la chancellerie de la reine Christine. Il est vrai qu’en écrivant à la reine Ulrique, avec cette liberté que ses bontés et la poésie permettent, je feignais que Christine m’avait apparu, et je disais :


À sa jupe courte et légère[2],
À son pourpoint, à son collet.
Au chapeau garni d’un plumet,
Au ruban ponceau qui pendait
Et par devant et par derrière,
À sa mine galante et fière
D’amazone et d’aventurière,
À ce nez de consul romain,
À ce front altier d’héroïne,
À ce grand œil tendre et hautain,
Moins beau que le vôtre et moins fin,
Soudain je reconnus Christine ;
Christine des arts le soutien ;
Christine qui céda pour rien
Et son royaume et votre église ;
Qui connut tout et ne crut rien ;
Que le saint-père canonise,
Que damne le luthérien,
Et que la gloire immortalise.


Voilà, monsieur, le morceau de cette lettre que le compilateur a falsifié. Ne vous fiez point à ces mains lourdes qui fanent les fleurs qu’elles touchent ; mais comptez que la plupart de toutes ces petites pièces sont des fleurs éphémères qui ne durent pas plus que les nouveaux sonnets d’Italie et nos bouquets pour Iris. On n’a que trop recueilli de ces bagatelles passagères dans toutes les misérables éditions qu’on a données de moi, et auxquelles. Dieu merci, je n’ai aucune part. Soyez persuadé que, de même qu’on ne doit pas écrire tout ce que les rois ont fait, mais seulement ce qu’ils ont fait de digne de la postérité, de même on

  1. Arckenholtz ; voyez la note 2, tome XXIII, page 524.
  2. Voyez la lettre 1718.