Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/442

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santerie amuse qui voudra s’en amuser ; mais on y a ajouté une Histoire des Croisades, et puis un Plan de l’histoire de l’esprit humain. Celui qui a imprimé ces rognures n’a pas apparemment grande part aux progrès que l’esprit humain a faits. Premièrement, les fautes d’impression sont sans nombre, et le sens est altéré à chaque page. Secondement, il y a plusieurs chapitres d’oubliés. Troisièmement, comment l’éditeur ne s’est-il pas aperçu que tout cela était le commencement d’une Histoire universelle depuis Charlemagne, et que le morceau des Croisades entrait nécessairement dans cette histoire ?

Il y a quinze ans que je formai ce plan d’histoire pour ma propre instruction, moins dans l’intention de me faire une chronologie que de suivre l’esprit de chaque siècle. Je me proposais de m’instruire des mœurs des hommes, plutôt que des naissances, des mariages, et des pompes funèbres des rois. Le Siècle de Louis XIV terminait l’ouvrage. J’ai perdu dans mes voyages tout ce qui regarde l’histoire générale depuis Philippe second et ses contemporains jusqu’à Louis XV, et toute la partie qui concernait le progrès des arts depuis Charlemagne et Aaron Raschild ; c’est surtout cette partie que je regrette. L’histoire moderne est assez connue, mais j’avais traduit en vers avec soin de grands passages du poëte persan Sadi, du Dante, de Pétrarque ; et j’avais fait beaucoup de recherches assez curieuses dont je regrette beaucoup la perte. Vous me direz : Est-ce que vous entendez le persan pour traduire Sadi ? Je vous jure, monsieur, que je n’entends pas un mot de persan ; mais j’ai traduit Sadi, comme Lamotte avait traduit Homère.

Comme je n’ai jamais compté surcharger le public de cette histoire universelle, je la gardais dans mon cabinet. Les auteurs du Mercure de France me prièrent de leur en donner des morceaux pour figurer dans leur journal. Je leur abandonnai quelques chapitres dont les examinateurs retranchèrent pieusement tout ce qui regardait l’Église et les papes ; apparemment que ces examinateurs voulurent avoir des bénéfices en cour de Rome. Pour moi, qui suis très-content de mes bénéfices en cour de Prusse, j’ai été un peu plus hardi que messieurs du Mercure. Enfin ils ont imprimé pièce à pièce beaucoup de morceaux tronqués de cette histoire. Un éditeur inconnu vient de les rassembler. Il aurait mieux fait de me demander mon avis ; mais c’est ce qu’on ne fait jamais. On vous imprime sans vous consulter, et on se sert de votre nom pour gagner un peu d’argent, en vous ôtant un peu de réputation. On se presse, par exemple, de