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Vous savez que, quand vous m’écrivîtes la première fois sur l’audience et sur l’épée de feu M. de Ferriol[1], le Siècle était déjà presque tout imprimé ; il doit être à présent achevé. Il n’y a pas moyen d’y revenir ; tout ce que je peux faire, c’est de veiller au petit concile ; j’en parle dans toutes mes lettres à Mme Denis. Joignez-vous à moi ; faites-l’en souvenir. Ce sera votre faute si ce petit subsiste dans la nouvelle édition de Paris. Il est malheureusement dans une douzaine d’autres dont la France est inondée, et surtout dans celle que l’abbé Pernetti[2] a fait imprimer à Lyon, sous les yeux du Père du concile[3].

Adieu, mon cher ange ; vous êtes mon concile, et je voudrais bien être à vos genoux ; mais laissons passer l’hiver. Je finis, la poste va partir, et je n’aurai pas le temps d’écrire à Mme Denis.


2456. — DE MADAME LA MARGRAVE DE BAIREUTH.
Erlang, le 1er novembre.

Il faudrait avoir plus d’esprit et de délicatesse que je n’en ai pour louer dignement l’ouvrage que j’ai reçu de votre part. On doit s’attendre à tout de frère Voltaire. Ce qu’il fait de beau ne surprend plus ; l’admiration, depuis longtemps, a succédé à la surprise. Votre Poëme sur la Loi naturelle m’a enchantée. Tout s’y trouve, la nouveauté du sujet, l’élévation des pensées, et la beauté de la versification. Oserai-je le dire ? il n’y manque qu’une chose pour le rendre parfait. Le sujet exige plus d’étendue que vous ne lui en avez donné. La première proposition demande surtout une plus ample démonstration. Permettez que je m’instruise et que je vous fasse part de mes doutes.

Dieu, dites-vous, a donné à tous les hommes la justice et la conscience pour les avertir, comme il leur a donné ce qui leur est nécessaire. Dieu ayant donné à l’homme la justice et la conscience, ces deux vertus sont innées dans l’homme, et deviennent un attribut de son être. Il s’ensuit, de toute nécessité, que l’homme doit agir en conséquence, et qu’il ne saurait être ni injuste ni sans remords, ne pouvant combattre un instinct attaché à son essence. L’expérience prouve le contraire. Si la justice était un attribut de notre être, la chicane serait bannie ; les avocats mourraient de faim ; vos conseillers au parlement ne s’occuperaient pas, comme ils font, à troubler la France pour un morceau de pain donné ou refusé ; les jésuites et les jansénistes confesseraient leur ignorance en fait de doctrine.

  1. Voyez lettre 2427.
  2. Voyez lettre 2430.
  3. Le cardinal de Tencin, oncle de d’Argental et archevêque de Lyon, était archevêque d’Embrun lorsqu’il présida le concile tenu en cette dernière ville ; voyez tome XV, page 60.