Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/540

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mis au corps de garde à Berlin, et envoyé à Spandau. Pour peu qu’il raisonne, il doit voir clairement que Maupertuis ne m’a calomnié ainsi auprès de lui que pour l’exciter à écrire contre moi ; c’est un fait assez public dans Berlin. Il est bien étrange qu’un homme que le roi de Prusse a daigné mettre à la tête de son Académie ait pu faire de pareilles manœuvres. Songez ce que c’est que d’aller révéler à un étranger, à un passant, le secret des soupers de son maître, et de joindre l’infidélité à la calomnie. Exciter ainsi contre moi un jeune auteur, lancer ses traits, et puis retirer sa main ; accuser M. Kœnig, mon ami, d’être un faussaire, le faire condamner de sa seule autorité, en pleine Académie, et se donner le mérite de demander sa grâce ; faire écrire contre lui, et avoir l’air de ne point écrire ; déchaîner La Beaumelle contre moi, et le désavouer ; opprimer Kœnig et moi avec les mêmes artifices : c’est ce que Maupertuis a fait, et c’est sur quoi l’Europe littéraire peut juger.

Je me suis vu contraint à soutenir à la fois deux querelles fort tristes. Il faut combattre, et contre Maupertuis, qui a voulu me perdre, et contre La Beaumelle, qu’il a employé pour m’insulter, La vie des gens de lettres est une guerre perpétuelle, tantôt sourde et tantôt éclatante, comme entre les princes ; mais nous avons un avantage que les rois n’ont pas : la forcé décide entre eux, et la raison décide entre nous. Le public est un juge incorruptible qui, avec le temps, prononce des arrêts irrévocables. Le public prononcera donc si j’ai eu tort de prendre le parti de M. Kœnig, cruellement opprimé, et de confondre les mensonges dont La Beaumelle, excité par l’oppresseur de Kœnig, et le mien, a rempli le Siècle de Louis XIV.

La Beaumelle vous a mandé, monsieur, qu’il me poursuivra jusqu’aux enfers. Il est bien le maître d’y aller ; et, pour mieux mériter son gîte, il vous dit qu’il fera imprimer, à la suite du Siècle de Louis XIV, un procès que j’eus, il y a près de trois ans, contre un banquier juif, et que je gagnai. Je suis prêt à lui en fournir toutes les pièces, et il pourra faire relier le tout ensemble, avec la Paix de Nimegue, celle de Riswick, et la Guerre de la succession ; rien ne contribuera plus au progrès des sciences.

Tout cela, monsieur, est le comble de l’avilissement ; mais je vous défie de me nommer un seul auteur célèbre, depuis le Tasse jusqu’à Pope, qui n’ait eu affaire à de pareils ennemis.

Le moindre de mes chagrins est assurément le sacrifice des biens et des honneurs auxquels j’ai renoncé sans le plus léger regret ; mais la perte absolue de ma santé est un mal véritable.