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CORRESPONDANCE.

compromettre le roi notre maître. Vous sentez quel besoin j’ai d’avoir l’honneur de vous parler et de vous ouvrir mon cœur. Je ne peux sortir : le roi de Prusse ne manquerait pas de dire que j’ai assez de santé pour aller chez vous, et que je n’en ai pas assez pour aller chez lui.

Je suis d’ailleurs réellement très-malade. Je suis honteux de la peine que vous avez prise si souvent de venir me consoler. Voyez si vous voulez que je hasarde de venir chez vous dans un de vos carrosses, à nuit close, quand il vous plaira, quand vous n’aurez rien à faire, quand vous voudrez m’entendre et me conduire. Je me flatte que l’exposition de toute cette tracasserie, ma résignation et mes sentiments, augmenteront encore vos bontés pour moi.


2501. — À MADAME DENIS.
À Berlin, le 13 janvier.

J’ai renvoyé au Salomon du Nord, pour ses étrennes, les grelots et la marotte qu’il m’avait donnés, et que vous m’avez tant reprochés. Je lui ai écrit une lettre très-respectueuse, car je lui ai demandé mon congé. Savez-vous ce qu’il a fait ? il m’a envoyé son grand factotum de Fredersdorff, qui m’a rapporté mes brimborions. Il m’a écrit qu’il aimait mieux vivre avec moi qu’avec Maupertuis. Ce qui est bien certain, c’est que je ne veux vivre ni avec l’un ni avec l’autre.

Je sais qu’il est difficile de sortir d’ici ; mais il y a encore des hippogriffes pour s’échapper de chez Mme Alcine. Je veux partir absolument : c’est tout ce que je peux vous dire, ma chère enfant. Il y a trois ans bientôt que je le dis, et que je devrais l’avoir fait. J’ai déclaré à Fredersdorff que ma santé ne me permettait pas plus longtemps un climat si dangereux.

Adieu ; faites du paquet ci-joint l’usage que votre amitié et votre prudence vous dicteront.

Le pauvre Dubordier doit être à présent chez moi, à Paris. Sa destinée est bien cruelle. Il y a des gens devant qui on n’ose pas se dire malheureux. Cet homme est demandé à Berlin ; il y arrive en poste. Il embarque sur un vaisseau sa femme, son fils unique, et sa fortune. Le vaisseau périt à la rade de Hambourg. Dubordier se trouve à Berlin sans ressource. On se sert de ses dessins ; on ne l’emploie point, et on le renvoie sans même lui donner l’aumône. Logez-le, nourrissez-le. Qu’il raccommode mon cabinet de physique. Vous verrez dans le paquet qu’il vous