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au pied des Alpes ; mais je n’y serais pas si l’envie et le brigandage qui règnent à Paris dans la littérature ne m’avaient arraché à ma patrie et à vous. Je me flatte que Mme d’Argental continue à jouir d’une bonne santé. Je vous embrasse tendrement, mon cher et respectable ami.


3424. — À M. THIERIOT.
Aux Délices, 1er octobre.

Vraiment, je n’ai point eu cette lettre que vous m’écrivîtes huit jours après m’avoir envoyé les Mémoires de Hubert. Il se perdit, dans ce temps-là, un paquet du courrier de Lyon, sans qu’on ait pu jamais savoir ce qu’il est devenu. Les amants et les banquiers sont ceux qui perdent le plus à ces aventures. Je ne suis ni l’un ni l’autre, mais je regrette fort votre lettre. Nous avons depuis longtemps, mon ancien ami, celle de Fédéric au très-aimable et très-humain conjuré anglais réfugié[1], gouverneur de Neufchâtel. Je vous assure que j’en reçois de beaucoup plus singulières encore, et de lui et de sa famille. J’ai vu bien des choses extraordinaires en ma vie ; je n’en ai point vu qui approchassent de certaines choses qui se passent et que je ne peux dire. Ma philosophie s’affermit et se nourrit de toutes ces vicissitudes.

Vous ai-je mandé que M. et Mme de Montferrat sont venus ici bravement faire inoculer un fils unique qu’ils aiment autant que leur propre vie ? Mesdames de Paris, voilà de beaux exemples. Mme la comtesse de Toulouse ne pleurerait pas aujourd’hui M. le duc d’Antin[2], si on avait eu du courage. Un fils du gouverneur du Pérou, qui sort de mon ermitage, me dit qu’on inocule dans le pays d’Alzire. Les Parisiens sont vifs et tardifs.

Ce ne sont pas les auteurs de l’Encyclopédie qui sont tardifs ; je crois le septième tome imprimé, et je l’attends avec impatience. La cour de Pétersbourg n’est pas si prompte ; elle m’envoie toutes les archives de Pierre le Grand. Je n’ai reçu que le recueil de tous les plans, et un des médaillons d’or grands comme des patènes.

Je vous assure que je suis bien flatté que les descendants des

  1. Lord Keith, appelé aussi milord Maréchal.
  2. Louis de Pardaillan de Gondrin, dernier duc d’Antin, né en 1727, mort en Allemagne en 1757 ; petit-fils et filleul de Mme de Gondrin, à laquelle est adressée une épître ; voyez tome X.