Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/295

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Espagne à son ami. Vous pourriez, dans quelque moment de loisir, dire la substance de ma lettre à la personne en question ; vous pourriez même la lui lire, si vous y trouviez jour, si vous trouviez la chose convenable, s’il en avait quelque curiosité. Vous en pourriez rire ensemble ; et, quand vous en aurez bien ri, je vous prierai de me renvoyer ce songe que j’ai mis sur le papier, et que je ne crois bon qu’à vous amuser un moment.


3435. — À M. BERTRAND.
Lausanne, 21 octobre.

Il y a, mon très-cher philosophe, force méchants et force fous en ce bas monde, comme vous le remarquez très à propos ; mais vous êtes la preuve qu’il y a aussi des gens vertueux et sages. Les La Beaumelle et les insectes de cette espèce pourraient nous faire prendre le genre humain en haine ; mais des cœurs tels que M. et Mme de Freudenreich nous raccommodent avec lui. Il s’en trouve de cette trempe à Genève. Les brouillons qui ont répondu avec amertume à vos sages insinuations sont désapprouvés de leurs confrères, et ont excité l’indignation des magistrats. Pour moi, j’ai tenu la parole que j’ai donnée de ne rien lire des pauvretés que des gens de très-mauvaise foi se sont avisés d’écrire. Toute cette basse querelle est venue de ce que j’ai donné l’Histoire générale aux Cramer, au lieu d’en gratifier un autre. Le chef de la cabale[1] est celui-là même qui avait fait imprimer l’Histoire générale en deux volumes, lorsqu’elle était imparfaite, tronquée, et très-licencieuse. Il s’élève contre elle lorsqu’elle est complète, vraie, et sage. Je n’ai fait que produire les lettres de ce tartufe, par lesquelles il me priait de lui donner mon manuscrit. Elles l’ont couvert de confusion. Il se meurt de chagrin : je le plains, et je me tais. Il demanda, il y a six semaines, au conseil, communication du procès de Servet. On le refusa tout net. Hélas ! il aurait vu peut-être qu’on brûla ce pauvre diable avec des bourrées vertes où les feuilles étaient encore ; il fit prier maître Jehan Calvin, ou Chauvin, de demander au moins des fagots secs ; et maître Jehan répondit qu’il ne pouvait en conscience se mêler de cette affaire. En vérité, si un Chinois lisait ces horreurs, ne prendrait-il pas nos disputeurs d’Europe pour des monstres ?

  1. Jacob Vernet.