Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome39.djvu/361

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perdu et qu’il voulait mourir, et que j’essuyais de loin ses larmes, que je ne veux plus essuyer de près. Il n’y a qu’à vivre pour voir des prodiges.

Adieu, mon divin ange. Ah ! si vous pouviez voir ma maison, qui forme un cintre sur mon jardin, et qui voit d’un côté quinze lieues de lac, et sept de l’autre, et qui a le lac en miroir au bout du jardin, et la Savoie par delà ce lac, et les Alpes au delà de cette Savoie, vous me diriez : Tenez-vous là. Mais je suis trop loin de vous.


3510. — DE CHARLES-THÉODORE,
électeur palatin.

Je vous suis très-obligé, monsieur, des souhaits que vous me faites pour la nouvelle année, que je vous souhaite aussi très-heureuse. Celle que nous avons finie ne l’a guère été pour bien du monde : jamais tant de sang n’a été répandu. Je ne crois pas qu’on trouve dans l’histoire un exemple que, dans une seule campagne, on ait donné dix batailles. Il n’y a guère d’apparence que l’hiver nous ramène la paix. Votre santé ne vous permettra-t-elle plus de me donner le plaisir de vous revoir, et de vous assurer de toute l’estime que vous méritez, et que j’aurai toujours pour vous ?


Charles-Théodore, électeur.

3511. — DE MADAME D’ÉPINAI À M.  GRIMM[1].

Le courrier a manqué deux fois, et je suis dans une grande disette. Il y aura demain huit jours que je n’ai reçu de vos nouvelles, mon tendre ami ; aussi je suis un peu triste ; à peine ai-je le courage d’écrire : voilà ce que c’est que d’être à plus de cent lieues l’un de l’autre. Je vais cependant faire un effort et tâcher de vous dire ce que je pense de Voltaire, en attendant que j’aie le courage de vous parler de moi et de ce qui me concerne.

Eh bien ! mon ami, je n’aimerais pas à vivre de suite avec lui ; il n’a nul principe arrêté, il compte trop sur sa mémoire, et il en abuse souvent ; je trouve qu’elle fait tort quelquefois à sa conversation ; il redit plus qu’il ne dit, et ne laisse jamais rien faire aux autres. Il ne sait point causer, et il humilie l’amour-propre ; il dit le pour et le contre, tant qu’on veut, toujours avec des nouvelles grâces à la vérité, et néanmoins il a toujours l’air de se moquer de tout, jusqu’à lui-même. Il n’a nulle philosophie dans la tête ; il est tout hérissé de petits préjugés d’enfants ; on les lui passerait peut-être en faveur de ses grâces, du brillant de son esprit et de son originalité, s’il ne s’affichait pas pour les secouer tous. Il a des inconséquences plaisantes, et il est au milieu de tout cela très-amusant à voir. Mais je n’aime point les gens qui ne font que m’amuser. Pour madame sa nièce, elle est tout à fait comique.

  1. Mémoires et Correspondances de Mme  d’Épinai ; 1863.