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ANNÉE 1758.

de concert les articles dont on m’envoyait la liste ; je suis trés fâché que ces deux hommes, nécessaires l’un à l’autre, soient désunis, et qu’ils ne s’entendent pas pour mettre le public à leurs pieds.

Pour moi, je me suis amusé à jouer Fanime et Alzire. Mademoiselle Clairon, je vous demande pardon, mais vous n’avez jamais bien joué la tirade du troisième acte :


De l’hymen, de l’amour, venge ici tous les droits,
Punis une coupable, et sois juste une fois.

(Alzire, acte III, scène v.)


Pourquoi cela, mademoiselle ? C’est que vous n’avez jamais lié les quatre vers de la fin, et appuyé sur le dernier : c’est le secret. Vous n’avez jamais bien joué l’endroit où Alzire demande grâce à son mari pour son amant, et cela par la même raison. Vous êtes une actrice admirable, j’en conviens ; mais Mme Denis a joué ces deux endroits mieux que vous. Et vous, vieux débagouleur de Sarrazin, vous n’avez jamais joué Alvarès comme moi, entendez-vous ?

Mon divin ange, depuis cette maudite affaire de Rosbach, tout a été en décadence dans nos armées, comme dans les beaux-arts à Paris. Je ne vois de tous côtés que sujets d’affliction et de honte. On dit pourtant que M.  Colardeau est remonté sur son Astarbé ; je ne sais pas sur quoi nos généraux remonteront. Dieu nous soit en aide !

Comment se porte Mme d’Argental ? Quelles nouvelles sottises a-t-on faites ? quel nouveau mauvais livre avez-vous ? quelle nouvelle misère ? Si vous voyez ce bon Diderot, dites à ce pauvre esclave que je lui pardonne d’aussi bon cœur que je le plains.


3581. — À M.  LINANT[1].
À Lausanne, 12 mars.

Quand je lis vos vers séduisants,
Je ressemble aux vieilles coquettes,
Qui, n’osant plus avoir d’amants,
Baissent leurs yeux et leurs cornettes ;
Mais si quelque jeune galant

  1. Ce M.  Linant n’est point de la famille d’un autre Linant, élève de M.  de Voltaire. (K.) — C’est celui dont il est question dans les Mémoires de Mme d’Épinai, et ci-dessus, lettre 3565.