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ANNÉE 1758.

dit, je ne sais où, qu’on ne peut servir deux maîtres ; j’en veux avoir quatre pour n’en avoir point du tout et pour jouir pleinement du plus bel apanage de la nature humaine qu’on nomme liberté. J’ai toujours un très-grand regret à Tournay. Tout ce que je désire, si vous ne me le donnez pas, c’est que vous l’aimiez et que vous ne le donniez point à d’autres.

Je voudrais que vous pussiez vous plaire à l’embellir, que vous y bâtissiez, que vous y vinssiez tous les ans ; mais vous n’en ferez rien. Nous avons ici le président de Ruffey[1], et madame sa femme. Nous avons un jeune M.  de Bussy[2], qui vient de nous donner une comédie de sa façon sur notre théâtre, auprès de Genève. Vous voyez que nous devons nos plaisirs aux Dijonnais. C’est d’ailleurs une belle révolution dans les mœurs que des comédies, des danses et de la musique, et surtout de la philosophie, dans le pays où ce brigand de Calvin fit brûler ce fou de Servet au sujet de l’homoousios.

Revenons à Tournay ; si vous ne vous accommodez pas avec M.  de Fautrière, ne m’oubliez pas entièrement. Comptez toujours sur la très-respectueuse estime du libre Suisse V.


3683. — DE M.  LE PRÉSIDENT DE BROSSES[3].

Il n’y a, dit-on, monsieur, mal que bien n’en vienne, et parfois un plus grand bien. Je ne serai pas votre vendeur, mais je resterai votre voisin, ce qui vaut encore mieux pour moi. Je vis bien par votre seconde lettre que c’était, ainsi que vous me le disiez, une fantaisie passagère que vous aviez prise pour ce lieu, et dont on vous avait bientôt dégoûté. Pour moi, vous me trouverez probablement toujours planté là comme un piquet, toutes et quantes fois que vous voudrez goûter du denier dix (c’est la taxe apostolique des fonds perdus) et avoir une certaine quantité de bois de construction dont nous conviendrions selon le devis. Le pays m’a toujours charmé, et depuis qu’il a acquis de nouveaux agréments par votre présence, je suis moins disposé que jamais à renoncer à l’incolat, malgré la proposition d’échange que M.  de Fautrière m’a fait faire par un procureur qu’il a ici, pour certaines affaires qui ne lui ont pas extrêmement bien tourné. Je ne le connais point du tout ; mais ce que j’en entends dire ne me donne

  1. M.  Richard de Ruffey, président à la chambre des comptes de Dijon.
  2. Probablement M.  Dagonneau de Bussy, dont l’hôtel à Dijon, rue Chabot-Charny, était situé sur l’emplacement qu’avait occupé autrefois un hospice appartenant au prieuré d’Époisses, fondé en 1185 par le duc Hugues III. Voyez Courtépée, II, 148.(Th. F.)
  3. Éditeur, Th. Foisset.