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CORRESPONDANCE




3740. — DE M. LE PRÉSIDENT DE BROSSES[1].
Janvier 1759.

Honneur, salut, joie, santé et bénédiction ad mullos annos au seigneur comte de Tournay, ci-devant mon voisin, aujourd’hui patron de ma case, dans tous les temps, dans tous les lieux, à ce que j’espère, mon ami. Voilà pour vos étrennes, monsieur ! Donnez-moi pour les miennes quelque jolie petite épitre en vers,


Et mihi delphica Lauro cinge comas, ut ego postera
Crescam laude.


Pour les vôtres, donnez-vous une vue ouverte sur le potager, et un petit logement commode dans ce château où vous avez carte blanche, tant par notre traité que par le billet que vous savez[2], infiniment meilleur, quoi que vous en disiez, que celui qu’avait La Châtre. Mais vous êtes si vif que vous ne vous donnez pas le temps de lire. J’ai été quelquefois fâché, durant nos entretiens, de vous voir de la défiance sur des bagatelles, et de l’inquiétude que vos héritiers ne fussent un jour tracassés sur ce que vous auriez fait. C’est ce qui n’arrivera pas : comptez la-dessus. Nous avons traité en gentilshommes et en gens du monde, non en procureurs ni en gens de chicane. De votre côté, vous êtes incapable d’user de ceci autrement qu’un galant homme, comme vous feriez de votre propre bien patrimonial, en bon propriétaire et bon père de famille. Ainsi, fiez-vous à moi ; je me fie à vous : que les deux mots soient dits pour jamais entre nous.

En rentrant chez moi l’autre jour, je trouvai des lettres par lesquelles on m’apprenait que le ministère venait de nous envoyer l’impôt sur les villes ; et l’on me rappelait en toute diligence pour aviser aux moyens d’y mettre ordre de la manière la moins onéreuse au misérable peuple accablé. Je partis sur-le-champ ; je crois que vous m’avez prêté une aile de votre Pégase pour franchir les horreurs glaciales et les précipices du mont Jura. À force de relais et d’argent, j’arrivai bien vite, et, contre mon attente,

  1. Éditeur, Th. Foisset
  2. La lettre du 17 décembre 1758.