Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vécu comme un insensé, et est mort comme un sot. Le roi de Prusse ne pouvait le souffrir ; mais, comme il n’avait alors de niches à faire ni à l’impératrice, ni au roi, il en faisait à Maupertuis et à moi. J’ai pris le parti d’enterrer l’un, et d’être beaucoup plus heureux que l’autre. L’ingratitude du roi de Prusse a fait mon bonheur, et le roi, notre bon maître, l’a comblé en déclarant mes terres libres. Il ne me manque que de vous voir arriver ici pour prendre, comme moi, des lettres de vie au bureau de Tronchin.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

La mode est-elle toujours dans les académies de louer les athées d’avoir eu de grands sentiments de religion ?

Qu’on est sot à Paris !


3920. — À M.  BERTRAND.
4 septembre.

Je vais écrire, mon cher philosophe, pour qu’on vous rende vos articles de l’Histoire naturelle. Il est rare que les libraires soient fort empressés, quand il s’agit d’un procédé honnête ; tout homme a plus ou moins les vices de sa profession. La Mettrie, dont vous me parlez, n’avait point ceux de la sienne, car, en vérité, il n’était point du tout médecin ; il cherchait seulement à être athée. C’était un fou, et sa profession était d’être fou ; mais ceux qui vous ont dit qu’il était mort repentant sont de la profession des menteurs ; j’ai été témoin du contraire. Quant à Maupertuis, vous pouvez compter que, pour être mort entre deux capucins, il n’en croyait pas davantage à saint François. Il n’était pas moins extravagant que La Mettrie ; il est mort de la rage de sentir qu’il n’avait pas dans l’Europe toute la considération qu’il ambitionnait. Le pays de Saint-Malo est sujet à produire des cervelles ardentes, dans le goût de celles des Anglais[1]. Ma folie, à moi, est d’être laboureur et architecte, de semer au semoir des terres ingrates, et de me ruiner à bâtir un petit palais dans un désert. Au reste, mon cher ami, il ne faut penser ni comme La Mettrie, ni comme Maupertuis, mais comme Socrate, Platon, Cicéron, Épictète, Marc-Aurèle. Les barbares raisonneurs qui sont venus depuis sont la honte du genre humain, et leurs sottises font mal au cœur.

  1. Saint-Malo est en effet la patrie, non-seulement de Maupertuis et de La Mettrie, mais de Duguay-Trouin, mais de Broussais, mais de Lamennais, mais de Chateaubriand.