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Heureux qui est le maître chez soi, et qui pense librement ! Vale. V.


3921. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
Aux Délices, 4 septembre.

Madame, je reçois la lettre dont Votre Altesse sérénissime m’honore par les mains de l’avocat qu’elle a envoyé dans nos montagnes. Que vous faites bien, madame, de vous délivrer de tous ces banquiers ! Les Olenslager, et tous les gens de son espèce, auront à la fin tout l’argent de l’Europe. Je n’ai nulle nouvelle du marchand baron[2] ; il est en pleine Suisse, dans sa terre, qu’il a gagnée à vendre paisiblement de la mousseline, tandis que tant de terres de ceux qui ne vendent que leur sang sont ravagées. Il sera sans doute fort aise lui-même du parti que Votre Altesse sérénissime a pris. Je n’ai point vu encore celui qu’elle a envoyé ; j’étais dans un de mes ermitages, quand il me cherchait dans l’autre. Je l’attends aujourd’hui à dîner ; mais la poste partira avant qu’il arrive : c’est ce qui me détermine à écrire par le courrier, qui d’ailleurs ira plus vite que lui.

J’eus l’honneur, madame, de vous écrire avant-hier, et je pris la liberté de mettre dans le paquet une lettre qui peut n’être pas tout à fait inutile à la personne[3] qui la recevra. Vous vous intéressez à elle, et je ne devrais pas m’y intéresser ; mais les affaires de ce monde tournent quelquefois d’une manière ridicule. Il est sans doute bien extraordinaire que je sois à portée de servir cette personne. Elle est très-capable de n’en rien croire : car, avec de très-grandes qualités, on a quelquefois des caprices. Je n’ose en dire davantage. Plût à Dieu, madame, que je pusse venir me mettre à vos pieds pendant quelques jours ! Je me flatte que les yeux de la grande maîtresse des cœurs sont meilleurs que les miens : ils vous voient tous les jours ; les miens sont punis d’avoir quitté votre cour.

Recevez, madame, les profonds respects de l’ermite V., avec votre indulgence ordinaire.

  1. Editeurs, Bavoux et François.
  2. La Bat.
  3. Cette personne, c’est Frédéric. Il s’agissait des propositions de paix secrètement confiées à l’entremise de Voltaire. (A. F.)