Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome40.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’argent comptant. Vous avez Négligé votre terre, et moi, je la cultive avant même d’en être le maître, et vous serez un jour tout étonné d’avoir un château très-beau, très-peigné, et des campagnes fertiles, labourées et semées à la nouvelle mode, et de belles prairies qui sont aujourd’hui couvertes de taupes, et que vous verrez arrosées de petits ruisseaux.

Remerciez Dieu de m’avoir fait Suisse, Genevois et Bourguignon, de Parisien que j’étais. Nos Genevois disent que je suis une dupe. Ce sont eux qui sont des dupes, car ils ne savent pas jouir, et moi, je jouis de tout le bien que je fais à votre maison : comptez que je ne fais cas ici que de votre amitié.

Je vous prie de vouloir bien, monsieur, me dire positivement si mon contrat ne me donne pas le droit de nommer des officiers. Vous m’assurâtes, en signant l’acte, que ce droit était incontestable et sous-entendu dans l’acte même. Mais j’aime mieux vous entendre que de sous-entendre.

Je vous recommande enixe et fortiter ce maroufle de curé chicaneur, qui passe sa vie à plaider et à ruiner de pauvres diables. L’évêque et prince de Genève (qui heureusement n’est rien de tout cela) m’a envoyé une lettre dans laquelle il lave la tête au curé. Mais vous devriez écraser cette tête dure. Il serait plaisant qu’un président et un intendant réunis ne pussent venir à bout de secourir de pauvres diables qu’un prêtre persécute. Ils ont été très-mal défendus. Ils n’avaient qu’à dire simplement qu’ils étaient possesseurs de bonne foi, et qu’ils s’en rapportaient à la cour. Ils n’auraient point été condamnés à quinze cents livres de frais pour un objet de trente livres par an. Ne pourraient-ils pas aussi, en qualité de pauvres de Ferney (pauvres de nom, pauvres d’effet et d’esprit), présenter requête in forma pauperis ! Quinze cents livres de frais ! payer le vin que le curé a bu à Dijon et à Mâcon ! cela est abominable. Au nom de Dieu ! miséricorde ! Summum jus, summa injuria.

Les peuples seront-ils encore longtemps ruinés pour aller se faire bafouer, abhorrer et égorger en Germanie, et pour enrichir Marquet et compagnie,


Et Paris[1], et fratres, et qui rapuere sub illis.

Mille tendres respects. V.

  1. Pâris-Duverney et ses frères, munitiounaires des armées sous Louis XV.