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vrage est un tissu de calomnies ; mais ce qu’il y a de vrai fera passer ce qu’il y a de faux à la postérité.

Adieu : je lève les épaules quand on me parle du meilleur des mondes possibles. Je vous embrasse de tout mon cœur. V.


4020. — À M. DARGET.
Au Délices, 7 janvier 1760[1].

Mes pauvres yeux sont les très-humbles serviteurs des vôtres, mon cher et mon ancien camarade des bords de la Sprée ; je commence à perdre les joies de ce monde, comme disait cet aveugle à Mme de Longueville, qui le prenait pour un châtré ; je commence à croire que la poésie n’a jamais fait que du mal, puisque celles dont vous me parlez vous ont attiré de si énormes tracasseries ; mais je vous jure que vous n’auriez rien à craindre quand même on imprimerait à Paris ce qui a déjà été imprimé ailleurs ; je n’ai jamais entendu parler d’une Mme d’Artigny. Il vint chez moi, il y a environ deux mois, un prétendu marquis en …il, qui prétendait avoir des compliments à me faire du roi de Prusse ; ce marquis, étant à pied et n’ayant nulle lettre de recommandation, ne parvint pas jusqu’à moi. Il dit qu’il avait des choses importantes à me communiquer. Pour réponse, je lui fis donner une pistole, et je n’en ai pas entendu parler depuis. Il est difficile que ce marquis ait transcrit sous l’abbé de Prades le livre des poëshies du roi mon maître ; attendu que le roi mon maître m’a mandé qu’il avait fourré, il y a deux ans, l’abbé de Prades à la citadelle de Magdebourg. En tout cas, mon cher camarade, je peux vous répondre que vous ne serez jamais soupçonné d’une infidélité, à moins que ce ne soit avec quelques damoiselles.

Le philosophe de Sans-Souci n’est pas sans souci ; cependant il m’envoie toujours des cargaisons de vers avant de donner bataille, et après l’avoir donnée ; et avant Maxen, et pendant Maxen, et après Maxen ; et dans ces vers il y a toujours de l’esprit, et un fond de génie. Je suis toujours honteux d’être plus heureux que lui, et, révérence parler, je ne troquerais pas le château que j’ai fait bâtir à Ferney contre celui de Saus-Souci ; la liberté et

  1. Dans l’édition de Bâle, d’où elle est tirée, cette lettre est datée du 7 janvier 1759. Or la franchise des terres de Voltaire ne lui fut accordée qu’en mai 1759 (voyez lettre 3800) ; ce ne fut qu’en juillet 1759 que Maupertuis mourut entre deux capucins. Enfin le combat de Maxen est du 20 novembre 1759.