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4169. — À M.  THIERIOT.
Aux Délices, 30 juin.

Je commence, mon cher ami, par ce qui est le plus intéressant. La personne dont je respecte le nom et le mérite se réparerait probablement de cruels repentirs si elle prenait le parti dont vous parlez. Le service est ingrat dans ce pays-là, les mœurs en général aussi dures que le climat, la jalousie contre les étrangers extrême, le despotisme au comble, la société nulle. Le maréchal Keith n’y put tenir, et aima encore mieux la Prusse : c’est tout dire. L’impératrice est aimable, mais sa santé est fort équivoque ; elle est menacée d’un mal qui ne pardonne guère, et à sa mort il peut y avoir des révolutions. En général, une telle transplantation ne peut convenir qu’à un soldat de fortune, jeune, robuste, et sans ressource ; mais elle est bien peu faite pour un homme d’un si grand nom, encore moins pour une jeune dame élevée en France. Le nom de M***[1] ne doit briller que dans nos armées. Il vaut mieux attendre tout du temps en France, que d’aller chercher l’ennui et le malheur sous le pôle. Tel est mon avis, puisqu’on me le demande. On peut d’ailleurs consulter sur cela M.  Alethof, jeune Russe qui parle français comme vous, et dont on m’a montré un petit ouvrage que vous verrez dans peu.

Je vous ai renvoyé le Pauvre Diable, de Vadé, que vous m’avez confié ; questa coglioneria m’a fort réjoui. M.  Bouret a peur de son ombre ; il pouvait très-bien, sans rien risquer, m’envoyer la Vision. M.  le duc de Choiseul, qui d’ailleurs abandonne Palissot à l’indignation publique, sait très-bien que je condamne plus que personne le trait indécent et odieux contre Mme  la princesse de Robecq. Il est absurde de mêler les dames dans des querelles d’auteurs ; voilà des philosophes bien maladroits. Il faut se moquer des Fréron, des Chaumeix, des Lefranc, et respecter les dames, surtout les Montmorency[2].

Des jésuites, ci-devant empoisonneurs des âmes, et aujourd’hui des corps, sont une plaisanterie si bien saisie de tout le monde qu’elle se trouve dans les notes[3] de l’ouvrage intitulé le Russe à

  1. Sans doute Montmorency. — Voyez le cinquième alinéa de la lettre 4176.
  2. Mme  de Robecq ; voyez tome XXXIX, page 245.
  3. La note où se trouvent les expressions concernant les jésuites avait été supprimée. Nous l’avons rétablie à la suite de celle qu’il fit en 1771. Voyez tome X.