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l’un et l’autre, d’excellent vin de Bourgogne, nous le boirions au lieu de disputer.

Une dévote en colère disait à sa voisine : « Je te casserai la tête avec ma marmite. — Qu’as-tu dans ta marmite ? dit l’autre. — Un bon chapon, répondit la dévote, — Eh bien ! mangeons-le ensemble, » dit la bonne femme.

Voilà comme on en devrait user. Vous êtes tous de grands fous, molinistes, jansénistes, encyclopédistes. Il n’y a que mon cher Menoux de sage ; il est à son aise, bien logé, et boit de bon vin. J’en fais autant ; mais, étant plus libre que vous, je suis plus heureux. Il y a une tragédie anglaise qui commence par ces mots : Mets de l’argent dans ta poche, et moque-toi du reste. Cela n’est pas tragique, mais cela est fort sensé. Bonsoir. Ce monde-ci est une grande table où les gens d’esprit font bonne chère ; les miettes sont pour les sots, et certainement vous êtes homme d’esprit. Je voudrais que vous m’aimassiez, car je vous aime.


4184. — À M. PALISSOT.
12 juillet[1].

Votre lettre[2] est extrêmement plaisante, et pleine d’esprit, monsieur. Si vous aviez été aussi gai dans votre comédie des Philosophes, ils auraient dû aller eux-mêmes vous battre des mains ; mais vous avez été sérieux, et voilà le mal.

Entendons-nous, s’il vous plaît ; j’aime à rire, mais nous n’en sommes pas moins persécutés. Maître Abraham Chaumeix et maître Jean[3] Gauchat ont été cités dans le réquisitoire de maître Joly de Fleury ; on nous a traités de perturbateurs du repos public, et, qui pis est, de mauvais chrétiens. Maître Lefranc de Pompignan m’a désigné très-injurieusement devant mes trente-huit confrères. On a dit à la reine et à monseigneur le dauphin que tous ceux qui ont travaillé à l’Encyclopédie, du nombre desquels j’ai l’honneur d’être, ont fait un pacte avec le diable. Maître Aliboron, dit Fréron, veut me faire aller à l’immortalité dans ses admirables feuilles, comme Boileau a éternisé Chapelain et Cotin. Oh ! je suis assez bon chrétien pour leur pardonner dans le fond du cœur, mais non pas au bout de ma plume.

  1. Cette lettre, dont Palissot n’avait d’abord publié qu’un extrait, fut, bientôt après, imprimée séparément sous ce titre : Copie de la troisième lettre de M. de Voltaire à M. Palissot, et datée du 18 juillet. (B.)
  2. La lettre de Palissot à laquelle répond Voltaire est du 7 juillet.
  3. Il se nommait Gabriel Gauchat ; voyez une note de la lettre 4226.