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3789. — DE M.  D’ALEMBERT.
À Paris, 24 février.

Il y a plus de six ans, mon cher et illustre maître, que je ne lis point les sottises menstruelles du Garasse de Trévoux ; mais j’entends dire qu’elles n’ont point dégénéré. Ce que je sais, c’est que le frère Berthier et ses complices n’osent paraître actuellement dans les rues, de peur qu’on ne leur jette des oranges de Portugal à la tête. Dieu et M.  de Carvalho[1] nous feront raison de cette canaille.

L’apologiste de l’édit de Nantes et de la Saint-Barthélémy est un abbé de Caveyrac, protecteur et protégé de cet évêque du Puy, Pompignan, dont nous avons la Dévotion réconciliée avec l’esprit[2], ou la Réconciliation normande[3] et qui nous a aussi donné des Questions sur l’incrédulité, dont la première est pour prouver qu’il n’y a point d’incrédules, et le reste du livre pour les réfuter.

L’avocat sans cause qui prouvait, il y a deux ans, que le roi de Prusse serait anéanti dans trois mois, et qui, entre les batailles de Rosbach et de Lissa, s’est mis à faire les Cacouacs, est un nommé Moreau, pensionné de la cour pour ses Lettres hollandaises.

Enfin le polisson qui est aujourd’hui l’oracle du parlement de Paris (ce tribunal respectable qui ne s’embarrasse guère que le peuple ait du pain, pourvu qu’il ait les sacrements) est un décrotteur d’Orléans, appelé Chaumeix, qui est venu à Paris, il y a six mois, avec des sabots, et qui, pour gagner son pain et boire son eau, barbouille du papier contre vous et contre l’Encyclopédie.

Je n’entends point parler de Jean-Jacques, depuis sa capucinade[4] contre moi. Pour Diderot, il s’acharne toujours à vouloir faire l’Encyclopédie ; mais le chancelier, à ce qu’on assure, n’est pas de cet avis : il va supprimer le privilège[5] de l’ouvrage, et donnera à Diderot la paix malgré lui. Je n’ai de nouvelles du roi de Prusse que par son argent ; il m’a fait payer, il y a un mois, ma pension de 1758. Vous voyez qu’il n’est en reste avec personne.

Je ne sais pas si on exigera de nous des rétractations, comme on l’a fait d’Helvétius ; mais je sais que je n’en ai point à donner, et je crois qu’on peut être aussi heureux en buvant de l’eau du Rhône que de celle de la Seine.

Adieu, mon cher et grand philosophe ; ne m’oubliez pas auprès de mesdames vos nièces.

  1. Séb.-Jos. Carvalho, plus connu sous le nom de marquis de Pombal.
  2. 1755, in-12.
  3. La Réconciliation normande est le titre d’une comédie de Dufresny.
  4. Voyez la note 1, tome XXXIX, page 489.
  5. Il fûut révoqué le 8 mars ; voyez la note, tome XXIV, page 132.