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procédés et la bienséance. Les nations les plus policées font la guerre en bêtes féroces[1]. J’ai honte de l’humanité ; j’en rougis pour le siècle. Avouons la vérité ; les arts et la philosophie ne se répandent que sur le petit nombre ; la grosse masse, le peuple, et le vulgaire de la noblesse, restent ce que la nature les a faits, c’est-à-dire de méchants animaux.

Quelque réputation que vous ayez, mon cher Voltaire, ne pensez pas que les housards autrichiens connaissent votre écriture. Je puis vous assurer qu’ils se connaissent mieux en eau-de-vie qu’en beaux vers et en célèbres auteurs.

Nous allons commencer dans peu une campagne qui sera pour le moins aussi rude que la précédente. Le prince Ferdinand[2] épaule bien ma droite ; Dieu sait quelle en sera l’issue. Mais de quoi je puis vous assurer positivement, c’est qu’on ne m’aura pas à bon marché, et que, si je succombe, il faudra que l’ennemi se fraye par un carnage affreux le chemin à ma destruction.

Adieu ; je vous souhaite tout ce qui me manque.


fédéric.

N. B. On dit qu’on a brûlé à Paris votre poëme de la Loi naturelle, la Philosophie du bon sens[3], et l’Esprit, ouvrage d’Helvétius. Admirez comme l’amour-propre se flatte ; je tire une espèce de gloire que la même époque de la guerre que la France me fait devienne celle qu’on fait à Paris au bon sens.


3828. — À MADAME DE FONTAINE.
15 avril.

J’espère, ma chère nièce, que ma lettre vous trouvera à Paris, et que vous aurez fait un très-agréable voyage, vous et les vôtres. Je ne dis pas que vous soyez revenue avec un excellent estomac : ce n’est pas, je crois, la pièce de votre corps dont vous êtes le plus contente. J’ai reçu votre aimable lettre ; vous écrivez mieux que vous ne digérez, quoique vous ne soyez pas encore parvenue à une orthographe parfaite. Mais orthographiez comme il vous plaira ; je ne ferai pas comme l’abbé Dangeau, qui renvoyait les lettres à sa maîtresse quand les points et les virgules manquaient.

Les nouvelles varient beaucoup sur la conspiration sainte du Portugal, Nous ne savons encore si nous mangerons du jésuite, ou si les jésuites nous mangeront.

Il y a des gens qui prétendent à Genève que les huguenots de

  1. Frédéric pose comme règle, dans sa lettre du 31 octobre 1760, à Voltaire, sans en excepter les rois, que tout homme a une bête féroce en soi.
  2. Ferdinand de Brunswick.
  3. Ouvrage publié par d’Argens, en 1737.