Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/229

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poursuit actuellement à toute outrance contre le curé de Moëns, qu’il sait que nous ne condamnons pas comme lui, a ranimé sa fureur contre nous : il a cherché tous les moyens de réunir quelques victimes de sa haine, pour les frapper du même coup, ou les uns par les autres.

On m’avait déjà tendu un piège le lendemain de la fête des Rois ; on m’attendit ce jour-là sur le grand chemin, à Sacconex, village où Decroze, maître horloger, demeure ; on voulait me prier de passer chez lui à mon retour de Genève, dans le temps qu’on disait Decroze fils mourant, afin de me faire ensuite assigner en justice pour rendre témoignage de l’état prétendu désespéré dans lequel le jeune homme aurait feint de se trouver. Ce projet ne réussit pas parce que je fus obligé de rester à Genève ce jour-là et plusieurs jours de suite, et qu’avant que je pusse repasser par Sacconex le prétendu assassiné se portait à merveille. Il fallut donc se retourner autrement, et, comme on ne voulait pas me manquer, voici comment on s’y prit.

Vous avez pu voir, monsieur, par le mémoire même du 30 janvier, qu’il y avait eu précédemment une première pièce imprimée, en forme de plainte, sur le prétendu assassinat, pièce composée également par M. de Voltaire, signée par Decroze le père, et datée du 3 janvier. Dans cette plainte, dont on m’assure qu’il y a à Dijon quantité d’exemplaires, l’auteur se déchaîne avec fureur contre le curé de Moëns et y répand à pleine main la calomnie. Les Genevois eux-mêmes en ont été aussi indignés que les catholiques, et personne n’a craint de dire tout haut ce qu’il en pensait.

Je vais tous les samedis au soir d’Ornex à Genève pour y aider à desservir le dimanche la chapelle du roi. En y allant je passe par Sacconex, où je confesse les sœurs grises, qui y ont un établissement. La fille aînée de Decroze, qui selon le bruit public gouverne tout dans la maison de son père, et a tout crédit sur son esprit, cette fille qui, de sa vie, ne s’était venue confesser à moi, y vint pour la première fois le samedi 24 janvier ; je l’écoutai ; je continuai ensuite ma route, et me rendis à Genève à nuit tombante.

Vous allez juger si c’est à tort que je présume que la démarche de cette fille était un piège qu’on m’avait tendu. Dès le lendemain dimanche 25 janvier, sur le récit que la fille fit à son père, comme il lui plut, de ce qui s’était passé entre elle et moi au confessionnal, et sur la nouvelle qu’en donna, le dimanche matin, Decroze à M. de Voltaire, celui-ci, au comble de sa joie, se hâte de faire faire des copies du billet de Decroze, ou plus probablement en fabrique lui-même un, au nom de Decroze, dans lequel il dépeint tragiquement la douleur du père, qui se plaint à lui, son unique protecteur, dans l’amertume de son cœur, d’un nouveau trait arrivé la veille, en faveur de l’assassin de son fils, par le refus, disait-il entre autres choses, que le Père Fessy, jésuite d’Ornex, avait fait de l’absolution à sa fille jusqu’à ce qu’elle eût engagé son père à rétracter la plainte qu’il avait fait imprimer contre le curé de Moëns.

M. de Voltaire fait faire par son secrétaire et par d’autres personnes qui se trouvaient chez lui une foule de copies de ce billet, il en distribue à huit ou dix personnes qui dînaient chez lui, et à quatre heures après midi il y