Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/230

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en avait dans toutes les meilleures maisons de Genève, et qui avaient été portées par ses gens.

Il avait mal pris son champ de bataille ; les Genevois haussèrent les épaules sur une pareille extravagance, ils opinèrent aux petites-maisons pour le protecteur et pour le protégé ; ils savent que sur ce qui regarde soit directement soit indirectement la confession un prêtre ne peut qu’être muet.

J’avais craint d’abord, ce qu’il était naturel que j’appréhendasse, que ces billets ne fussent dans Genève une occasion de décrier nos sacrements ; la façon de penser des Genevois me rassura, et mon indignation se tourna en mépris pour un adversaire qui, pour avoir voulu tirer trop fort contre moi, avait manqué son but. Je m’attendais bien que le fiel dont cet homme se nourrit fermenterait plus violemment encore après avoir été inutilement répandu dans ces billets ; mais j’avoue que son nouveau mémoire du 30 janvier a surpassé mon attente. Je ne le connais que depuis huit ou dix jours ; la discrétion et l’amitié s’étaient jointes à la vie retirée que je mène, pour me le laisser ignorer. J’ai été véritablement ému à la lecture que j’en ai faite, moins cependant par la noirceur des traits sous lesquels on m’y représente que par la licence aussi artificieuse qu’effrénée avec laquelle on ose y faire servir ce qu’il y a de plus auguste et de plus saint, dans une religion qu’on déchire partout ailleurs, à couvrir les imputations les plus calomnieuses et les plus atroces.

Je ne m’arrête pas à vous faire remarquer le tour, digne du plus bas farceur, par lequel il substitue à mon nom de baptême, qui est Joseph, le nom de Jean, pour faire avec celui de Fessy un composé dans le goût sublime du théâtre de la Foire, ou des gentillesses de la Pucelle.

Mais doit-on laisser impunies l’audace et la témérité d’un homme qui compose, qui fait imprimer sous le nom d’un autre, qui répand dans tout le royaume des libelles aussi diffamants que la plainte du 3 et le nouveau mémoire du 30 janvier ? Je dis, imprimer sous le nom d’un autre, parce que j’ai plus que des présomptions, surtout pour le mémoire du 30, qu’il était déjà imprimé, et publié à Dijon, avant que M.  de Voltaire eût arraché la signature de Decroze père et fils.

Je tiens d’une personne très-digne de foi que quelqu’un, qui est fort lié avec Decroze père, a assuré à cette personne que, dix ou douze jours au moins avant la date de ce mémoire, Decroze, qu’il voyait souvent, lui avait paru dans la plus vive inquiétude, et que, lui en ayant demandé le sujet, Decroze lui avait répondu qu’il était excédé des visites et des persécutions qu’il avait continuellement à essuyer de la part de M.  de Voltaire, qui voulait absolument le contraindre à signer un mémoire extrêmement violent et dont il craignait fort que la signature ne le perdît.

Une autre personne, très-digne de foi aussi, vient de m’assurer qu’elle tient de Decroze fils que ce n’a été qu’à son corps défendant qu’il a signé ce même mémoire chez M.  de Voltaire, lequel, ennuyé du refus constant qu’il faisait de le signer, le prit au collet, le fit asseoir de force, lui mit la plume à la main, et, lui tenant sous le nez le mémoire manuscrit, le contraignit à y mettre son nom.