Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/365

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citer des séculiers sans l’intervention de la justice du roi ; et il est clair que cet imbécile de Pontas[1] rapporte fort mal l’ordonnance de 1627. L’official de Gex est dûment official ; mais je crois qu’il a très-indûment instrumenté le 8 juin. Deux témoins sont prêts à déclarer qu’il les a voulu induire à déposer contre moi. Et de quoi s’agit-il, pour faire tant de vacarme ? d’une croix de bois qui ne peut subsister devant un portail assez beau que je fais faire, et qui en déroberait aux yeux toute l’architecture. Il a fait dire à un malheureux que j’ai appelé cette croix figure ; à un autre, que je l’ai appelée poteau : il prétend que six ouvriers qu’il a interrogés déposent que je leur ai dit, en parlant de cette croix de bois qu’il fallait transplanter : Otez-moi cette potence. Or de ces six ouvriers quatre m’ont fait serment, en présence de témoins, qu’ils n’avaient jamais proféré une pareille imposture, et qu’ils avaient répondu tout le contraire. Des deux témoins qui restent, et que je n’ai pu rejoindre, il y en a un qui est décrété de prise de corps depuis quatre mois, et l’autre est convaincu de vol.

Au reste, monsieur, je suis bien aise de vous dire que cette croix de bois, qui sert de prétexte aux petits tyrans noirs de ce petit pays de Gex, se trouvait placée tout juste vis-à-vis le portail de l’église que je fais bâtir, de façon que la tige et les deux bras l’offusquaient entièrement, et qu’un de ces bras, étendu juste vis-à-vis le frontispice de mon château, figurait réellement une potence, comme le disaient les charpentiers. On appelle potence, en terme de l’art, tout ce qui soutient des chevrons saillants ; les chevrons qui soutiennent un toit avancé s’appellent potence ; et quand j’aurais appelé cette figure potence, je n’aurais parlé qu’en bon architecte.

J’ai de plus passé un acte authentique par-devant notaire avec les habitants, par lequel nous sommes convenus que cette croix de village serait placée comme je le veux. Vous remarquerez encore qu’on ne dérangea qu’avec le consentement du curé.

Ainsi vous voyez, monsieur, que voilà le plus impertinent prétexte que jamais les ennemis de la justice du roi et des seigneurs puissent prendre pour inquiéter un bienfaiteur assez sot pour se ruiner à bâtir une belle église, dans un pays où Dieu n’est servi que dans des écuries. Ceux qui me font ce procès de-

  1. Jean Pontas, casuiste, né dans le diocèse d’Avranches en 1638, mort en 1718.