Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/491

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en avait perdu vingt-deux mille. Vous exigeâtes de moi trente-cinq mille livres : je les payai comptant ; vous voulûtes que je fisse, les trois premières années, pour douze mille francs de réparations : j’en ai fait pour dix-huit mille en trois mois, et j’en ai les quittances.

J’ai rendu très-logeable une masure inhabitable. J’ai tout amélioré et tout embelli, comme si j’avais travaillé pour mon fils, et la province en est témoin ; elle est témoin aussi que votre prétendue forêt, que vous me donnâtes dans vos mémoires pour cent arpents, n’en contient pas quarante. Je ne me plains pas de tant de lésions, parce qu’il est au-dessous de moi de me plaindre.

Mais je ne peux souffrir, et je vous l’ai mandé, monsieur, que vous me fassiez un procès pour deux cents francs, après avoir reçu de moi plus d’argent que votre terre ne vaut. Est-il possible que, dans la place où vous êtes, vous vouliez nous dégrader l’un et l’autre au point de voir les tribunaux retentir de votre nom et du mien pour un objet si méprisable ?

Mais vous m’attaquez, il faut me défendre ; j’y suis forcé. Vous me dîtes, en me vendant votre terre au mois de décembre 1758, que vous vouliez que je laissasse sortir des bois de ce que vous appelez la forêt ; que ces bois étaient vendus à un gros marchand de Genève#1 qui ne voulait pas rompre son marché. Je vous crus sur votre parole : je vous demandai seulement quelques moules de bois de chauffage, et vous me les donnâtes en présence de ma famille.

Je n’en ai jamais pris que six, et c’est pour six voies de bois que vous me faites un procès ! Vous faites monter ces six voies à douze, comme si l’objet devenait moins vil !

Mais il se trouve, monsieur, que ces moules de bois m’appartiennent, et non-seulement ces moules, mais tous les bois que vous avez enlevés de ma forêt depuis le jour que j’eus le malheur de signer avec vous.

Vous me faites un procès dont les suites ne peuvent tomber que sur vous, quand même vous le gagneriez. Vous me faites assigner au nom d’un paysan de cette terre, à qui vous dites à présent avoir vendu ces bois en question. Voilà donc ce gros marchand de Genève avec qui vous aviez contracté ! Il est de notoriété publique que jamais vous n’aviez vendu vos bois à ce paysan ; que vous les avez fait exploiter et vendre par lui à Genève pour votre compte : tout Genève le sait ; vous lui doniez deux[1]

  1. L’acte dit : à un tonnelier.