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4715. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
20 octobre.

Ô anges ! ô anges ! nous répétions Mérope, que nous avons jouée sur notre très-joli théâtre, et où Marie Corneille s’est attiré beaucoup d’applaudissements dans le récit d’Isménie, que font à Paris de vilains hommes[1] ; elle était charmante.

En répétant Mérope, je disais : Voilà qui est intéressant ; ce ne sont pas là de froids raisonnements, de l’ampoulé et du bourgeois ; ne pourrais-tu pas, disais-je tout bas à V… faire quelque pièce qui tînt de ce genre vraiment tragique ? Ton Don Phèdre sera glaçant avec tes états généraux et ta Marie de Padille. Le diable alors entra dans mon corps. Le diable ? non pas : c’était un ange de lumière, c’était vous. L’enthousiasme me saisit. Esdras n’a jamais dicté si vite[2]. Enfin, en six jours de temps, j’ai fait ce que je vous envoie. Lisez, jugez ; mais pleurez.

Vous me direz peut-être que l’ouvrage des six jours est souvent bafoué, d’accord ; mais lisez le mien. Il y a deux ans que je cherchais un sujet ; je crois l’avoir trouvé[3]. Mais, dira Mme  d’Argental, c’est un couvent, c’est une religieuse, c’est une confession, c’est une communion. Oui, madame, et c’est par cela même que les cœurs sont déchirés. Il faut se retrouver à la tragédie pour être attendri. La veuve du maître du monde aux Carmélites, retrouvant sa fille épouse de son meurtrier ; tout ce que l’ancienne religion a de plus auguste, ce que les plus grands noms ont d’imposant, l’amour le plus malheureux, les crimes, les remords, les passions, les plus horribles infortunes, en est-ce assez ? J’ai imaginé comme un éclair, et j’ai écrit avec la rapidité de la foudre. Je tomberai peut-être comme la grêle. Lisez, vous dis-je, divins anges, et décidez.

Voici peut-être de quoi terminer les tracasseries de la Comédie. Fi ! Zulime ! cela est commun et sans génie. Donnez la veuve d’Alexandre[4] à Dumesnil, la fille d’Alexandre[5] à Clairon, et allez.

Mlle  Hus m’a écrit ; elle atteste les dieux contre vous. Qu’elle

  1. Voyez tome IV, page 176.
  2. Suivant quelques Pères, Esdras dicta de mémoire les livres de l’Ancien Testament qui étaient perdus.
  3. La tragédie d’Olympie.
  4. Statira.
  5. Olympie.