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4727. — À M. SAURIN.
À Ferney, octobre.

Dieu soit loué, mon cher confrère, de votre sacrement de mariage[1] ! Si Moïse[2] Lefranc de Pompignan fait une famille d’hypocrites, il faut que vous en fassiez une de philosophes. Travaillez tant que vous pourrez à cette œuvre divine. Je présente mes respects à madame la philosophe. Il y a beaucoup de jolies sottes, beaucoup de jolies friponnes : vous avez épousé beauté, bonté, et esprit ; vous n’êtes pas à plaindre. Tâchez de joindre à tout cela un peu de fortune ; mais il est quelquefois plus difficile d’avoir de la richesse qu’une femme aimable.

Mes compliments, je vous prie, à frère Helvétius et à tout frère initié. Il faut que les frères réunis écrasent les coquins ; j’en viens toujours là : Delenda est Carthago[3].

Ne soyez pas en peine de Pierre Corneille. Je suis bien aise de recueillir d’abord les sentiments de l’Académie ; après quoi je dirai hardiment, mais modestement, la vérité. Je l’ai dite sur Louis XIV, je ne la tairai pas sur Corneille. La vérité triomphe de tout. J’admirerai le beau, je distinguerai le médiocre, je noterai le mauvais. Il faudrait être un lâche ou un sot pour écrire autrement. Les notes que j’envoie à l’Académie sont des sujets de dissertations qui doivent amuser les séances, et les notes de l’Académie m’instruisent. Je suis comme La Flèche[4], je fais mon profit de tout.

Adieu, mon cher philosophe ; je vis libre, je mourrai libre ; je vous aimerai jusqu’à ce qu’on me porte dans la chienne de jolie église que je viens de bâtir, et où je vais placer des reliques envoyées par le saint-père.


4728. — DE M. LE PRÉSIDENT DE ROSSES[5].

Souvenez-vous, monsieur, des avis prudents que je vous ai ci-devant donnés en conversation, lorsqu’en me racontant les traverses de votre vie vous ajoutâtes que vous étiez d’un caractère naturellenient insolent. Je vous ai donné mon amitié ; une marque que je ne l’ai pas retirée, c’est l’avertis-

  1. Saurin, dans sa cinquante-sixième année, avait épousé, le 12 août 1761, Marie-Anne-Jeanne Sandras, née le 31 mars 1734.
  2. Voyez tome XXIV, page 261.
  3. C’était par ces mots que Caton le Censeur terminait ses harangues.
  4. L’Avare, acte I, scène iii.
  5. Éditeur, Th. Foisset.