Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/513

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Tournay ; vous, qui étiez sur place, la connaissiez beaucoup mieux que moi, qui n’y ai quasi jamais été. Vous l’aviez d’avance bien visitée et parcourue : ce qu’il était très-raisonnable à vous de faire. Je vous l’ai remise dans ce qu’elle contenait dans votre vu et su, telle qu’en jouissait le sieur Chouet alors fermier. J’ai toujours ouï dire que la forêt contenait environ 80 poses : c’est la mesure habituelle du pays, dont je suis si peu au fait que j’en ignore encore la valeur[1]. Je vous ai remis le bail du sieur Chouet, montant à 3,000 livres, avec progression pour les années suivantes à 3,200 et à 3,300 livres ; il ne tenait qu’à vous d’entretenir ce bail. Vous avez exigé qu’il fût résilié ; et le fermier, à son tour, a exigé de moi un dédommagement : ce qui était juste.

Vous dites à cela que le bail était trop cher, et que Chouet y a perdu 22,000 livres. Ici l’esprit de calcul vous a manqué. C’est une chose bien adroite que de perdre 22,000 livres en quatre ou cinq ans sur un bail de mille écus. Ce qu’il y a de plus curieux encore, c’est qu’au vu et su de tout le monde et de votre propre connaissance, le sieur Chouet n’avait pas un sol quand il est venu de Livourne prendre ma ferme. Cependant il y a vécu et m’a bien payé : ce qui n’est pas une petite merveille dans un homme de si peu de conduite.

Vous allez sans cesse répétant à tout le monde qu’au lieu de 12,000 livres que vous devez mettre en constructions et réparations au château de Tournay, vous y en avez déjà mis pour 18,000 livres, et même quelquefois pour 40,000 livres. Je désire fort que cela soit ainsi. Mais, n’ayant connaissance d’aucun autre changement que de quelques croisées et d’un pont de bois qui va au jardin, j’ai peine à les porter à ce prix. Au reste, je n’ai rien à vous dire là-dessus : vous êtes le maître du temps ; ce que vous n’avez pas fait, vous le ferez[2].

Venons au fait, car tout ce que vous dites là n’y va point. La mémoire est nécessaire quand on veut citer des faits. Elle vous manque sans doute lorsque vous affectez de confondre notre marché avec la commission de vous procurer du bois de chauffage. Ce sont deux choses très-isolées, et qui ne furent pas faites ensemble. Notre marché fut fait à Ferney, dans votre cabinet. C’est dans un autre temps, qu’en nous promenant dans la campagne, à Tournay, vous me dites que vous manquiez actuellement de bois de chauffage ; à quoi je vous répliquai que vous en trouveriez facilement de ceux de ma forêt vers Charles Baudy. Vous me priâtes de lui en parler, ce que je fis même en votre présence, autant que je m’en souviens, mais certainement d’une manière illimitée ; ce qu’on ne fait pas quand il s’agit d’un présent. Je laisse à part la vilité d’un présent de cette espèce, qui ne se fait qu’aux

  1. La pose équivaut à 27 ares.
  2. L’Éditeur de ces lettres a visité Tournay en 1834 ; il a interrogé l’ancien fermier de la terre, aujourd’hui propriétaire du château ; et par ses yeux comme par le témoignage du vieillard dont le père avait été longtemps fermier de la terre de Tournay, il s’est convaiucu que Voltaire s’en était tenu aux démolitions et à quelques distributions insignifiantes. (Note du premier éditeur.)