Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/572

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y rester exposée aux visites des Prussiens, des Hanovriens et des Russes. Si les choses de ce monde allaient d’une manière un peu plus honnête, nous devrions être à vos pieds, Mme de Bassevitz et moi. Ce n’est pas que je me plaigne de ma position, elle est assurément très-agréable ; mais elle est trop éloignée de la belle forêt de Thuringe.

Si vous aimez les sermons, madame, en voici un[1] qu’on vient de m’envoyer de Smyrne, et qui pourra vous édifier. Si vous étiez reine de Portugal, je ne prendrais pas cette liberté ; mais une duchesse de Saxe philosophe peut très-bien lire le Sermon d’un rabbin, sans scandale.

Je me mets aux pieds de Vos Altesses sérénissimes avec le plus profond respect.


Le Suisse V.

4787. — À MADAME LA COMTESSE DE BASSEVITZ.
Aux Délices, 25 décembre.

Madame, vous m’inspirez autant d’étonnement que de reconnaissance. Non-seulement vous écrivez des lettres charmantes à la barbe des housards noirs, mais vous écrivez des Mémoires qui méritent d’être imprimés ; et tout cela dans une langue qui n’est point la vôtre, avec l’exactitude d’un savant, et avec les grâces de nos dames de la cour de Louis XIV : car nous n’avons point aujourd’hui de dames que je vous compare.

Je n’ai reçu, madame, aucune des lettres dont vous me faites l’honneur de me parler. Quand il n’y aurait que ce malheur attaché à la guerre, je la détesterais ; c’est être véritablement pillé que de perdre les lettres dont vous m’honorez.

Je n’ai point changé de demeure, je conserve toujours mes Délices auprès de Genève ; elles me seront toujours chères, puisqu’un fils de notre adorable Mme la duchesse de Gotha a daigné les habiter. Mais comme j’ai des terres en France dans le voisinage, et que par les circonstances les plus singulières et les plus heureuses ces terres sont libres, j’y ai fait bâtir un château assez joli. Si je n’étais que Genevois, je dépendrais trop de Genève ; si je n’étais que Français, je dépendrais trop de la France. Je me suis fait une destinée à moi tout seul, et j’ai acquis cette précieuse liberté après laquelle j’ai soupiré toute ma vie, et sans laquelle je ne crois pas qu’un être pensant puisse être heureux.

  1. Le Sermon du rabbin Akib.