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4888. — À M.  FYOT DE LA MARCHE[1].
25 avril 1762, au château de Ferney.

Il y a quinze jours, monsieur, que je suis attaqué d’une fluxion de poitrine. La chair est faible, l’esprit n’est plus prompt, mais le cœur est tendre, il sent toutes vos boutés. Mille remerciements à votre graveur[2] pour son estampe, que je crois destinée à la Toison d’or[3]. Ce n’est pas que cette Toison soit digne d’une taille-douce ; mais il en faut aux pièces qu’on ne jouera jamais, comme à celles qu’on jouera. Nous traitons de même tous les enfants de Corneille, et les bossus comme les mieux faits.

Il n’est pas juste de vous priver de vos artistes pour Pertharite, Agésilas et Suréna. C’est trop abuser de votre bonne volonté et de votre patience. Qu’ils se réduisent à six estampes et qu’ils choisissent ; autrement vous seriez privé un an entier de ceux qui doivent travailler pour vous par préférence. Il y aurait à moi une indiscrétion impardonnable de le souffrir. Lorsque j’ai eu l’honneur de vous écrire sur l’abomination de Toulouse, je vous croyais encore à Paris et à portée de faire causer M. de Saint-Priest ; cette affaire, ou je suis fort trompé, est un reste de l’esprit des croisades contre les Albigeois.

Si mon mal de poitrine me joue un mauvais tour, je partirai ayant vu honnêtement d’horreurs dans ce monde. L’aventure des jésuites pourrait être consolante[4], mais on va être livré aux jansénistes, qui ne valent pas mieux ; je ne sais quel est le plus grand fléau, du fanatisme, de la guerre, de la peste et de la famine.

Je vous crois un peu empêché avec des têtes échauffées[5] ; la chaleur ne va pas trop avec la raison. Vous ferez sans doute comme Perrin Dandin, qui attendait qu’on fût fatigué et calme. En voilà beaucoup pour un homme qui a la fièvre, mais pas assez pour l’homme qui vous est attaché avec le plus tendre respect. V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. De Vosge père, alors occupé à dessiner, pour l’histoire des impôts que préparait M. de La Marche, des allégories que Monnier devait graver.
  3. Pièce de Pierre Corneille.
  4. Les jésuites ne furent déclarés dissous que par arrêt du parlement de Paris du 6 août 1762.
  5. Allusion à l’affaire Varennes, où M. de La Marche voulait interposer sa médiation.