Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/110

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d’avoir fait trop d’honneur à vos prédicants, en les peignant comme des hommes raisonnables ; ce sera, si vous voulez, une fable morale que je voulais faire servir d’instruction à nos prêtres fanatiques ; mais si vos Genevois sont offensés du bien que j’ai dit d’eux, ils n’ont qu’à parler, et je les tiendrai pour aussi sots qu’ils veulent l’être. Nos jésuites de Paris se défendent à tort ou à droit d’être des assassins, des voleurs, des fourbes, des sodomites ; et encore cela en vaut-il la peine. Vos jésuites presbytériens se défendent de toutes leurs forces d’avoir le sens commun ; ils sont bien plus avancés que les nôtres.

Est-ce que les Genevois osent aller à vos comédies ? On m’avait pourtant assuré que la sérénissime ou obscurissime république avait rendu un décret portant que tout cordonnier, tailleur, barbier, gadouard, ou autre, qui serait atteint et convaincu d’avoir assisté à cette œuvre du démon ne pourrait jamais devenir magistrat. Vous n’avez que votre théâtre dans la tête, et vous ne vous souciez guère, à ce que je vois, que les États de ce monde soient bien gouvernés.

Quant à nous, malheureuse et drôle de nation, les Anglais nous font jouer la tragédie au dehors, et les jésuites, la comédie au dedans. L’évacuation du collège de Clermont[1] nous occupe beaucoup plus que celle de la Martinique. Par ma foi, ceci est très-sérieux, et les classes du parlement n’y vont pas de main morte. Ce sont des fanatiques qui en égorgent d’autres, mais il faut les laisser faire : tous ces imbéciles, qui croient servir la religion, servent la raison sans s’en douter : ce sont des exécuteurs de la haute-justice pour la philosophie, dont ils prennent les ordres sans le savoir ; et les jésuites pourraient dire à saint Ignace : « Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font[2]. » Ce qui me paraît singulier, c’est que la destruction de ces fantômes, qu’on croyait si redoutables, se fasse avec aussi peu de bruit. La prise du château d’Arensberg n’a pas plus coûté aux Hanovriens que la prise des biens des jésuites à nosseigneurs du parlement. On se contente, à l’ordinaire, d’en plaisanter. On dit que Jésus-Christ est un pauvre capitaine réformé qui a perdu sa compagnie[3]. Il n’y a pas jusqu’aux sulpiciens qui ne s’avisent aussi d’être plaisants. Le curé de Saint-Sulpice, qui n’est pourtant pas un homme à bons mots, dit qu’il n’ose demander pour son petit séminaire la maison du noviciat des jésuites, parce qu’il a peur des revenants. Quant au Père de La Tour[4], il se croit pour le moins Caton et Socrate : « Il en arrivera, dit-il, tout ce qu’il plaira à Dieu ; je n’en serai pas moins l’être le plus vertueux qui existe. » Cela me fait souvenir de l’abbé de Dangeau, qui disait, dans le temps de nos malheurs à Hochstedt et à Ramillies : « Il en arrivera ce qu’il pourra ; j’ai là dedans, en montrant son bureau, trois mille verbes bien conjugués. »

Votre ; parlement de Toulouse, qui ne se presse pas de chasser les

  1. C’était le nom qu’on donnait au collège Louis-le-Grand.
  2. Saint Luc, xxiii, 34.
  3. Voyez une épigramme dans les Mémoires secrets de Bachaumont, à la date du 23 février 1763.
  4. Le Père de La Tour, jésuite, était général de la province de France.