Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/116

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à vous faire : celui d’avoir éclairé la France, et celui de vous être ressouvenu de moi.

Votre réquisitoire a été imprimé à Genève, et répandu dans toute l’Europe avec le succès que mérite le seul ouvrage philosophique qui soit jamais sorti du barreau. Il faut espérer qu’après avoir purgé la France des jésuites, on sentira combien il est honteux d’être soumis à la puissance ridicule qui les a établis. Vous avez fait sentir bien finement l’absurdité d’être soumis à cette puissance, et le danger, ou du moins l’inutilité de tous les autres moines, qui sont perdus pour l’État, et qui en dévorent la substance.

Je vous avoue, monsieur, que c’est une grande consolation pour moi de voir mes sentiments justifiés par un magistrat tel que vous. Il faut que je me vante d’avoir le premier attaqué les jésuites en France. J’ai une terre dans le pays de Gex, tout auprès d’un domaine que les jésuites ont usurpé. À force de distinctions, ils avaient ajouté à l’usurpation de ce domaine le bien de six gentilshommes[1], tous frères, tous pauvres, et tous au service. Ils avaient obtenu des lettres patentes qui leur permettaient d’acquérir ce bien. Ces lettres avaient été enregistrées au parlement de Dijon ; et vous noterez qu’ils s’étaient associés avec un huguenot dans cette manœuvre. Ils se fondaient uniquement sur l’espérance que ces six gentilshommes n’auraient jamais le moyen de rentrer dans leurs biens. Je prêtai de l’argent aux orphelins dépouillés ; ils sommèrent les jésuites et le huguenot de leur rendre leur patrimoine. Les jésuites consultèrent leur général, le Père Ricci, qui fut cette fois assez sage pour leur ordonner de se désister. Les pauvres gentilshommes sont rentrés dans leur domaine ; et j’espère des excommunications dans ce monde-ci, et le paradis dans l’autre, pour cette bonne œuvre.

Je vous envoie cette plaisanterie[2] qui m’est tombée entre les mains. Le bâtiment d’un million sept cent mille livres est une chose vraie, et qui excite l’indignation de tout le monde.


4895. — À M. DUCLOS.
Aux Délices, 17 mai.

J’étais très-malade, monsieur, lorsque j’eus l’honneur de vous écrire touchant l’édition de Corneille. J’ai été depuis a la

  1. MM. Desprez de Crassy.
  2. Extrait de la Gazette de Londres ; voyez tome XXIV, page 291.