Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/12

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Vous me dites que la confession et la communion ne sont pas suivies ici d’événements terribles ; mais n’est-ce rien qu’une fille qui se brûle, et qu’un amant qui se poignarde ?

Où avez-vous péché que Cassandre est un coupable, entraîné au crime par les motifs les plus bas ? 1° Il n’a point cru empoisonner Alexandre ; 2° on n’a jamais appelé la plus grande ambition un motif bas ; 3° il n’a pas même cette ambition ; il n’a donné autrefois à Statira un coup d’épée qu’en défendant son père ; 4° il n’a de violents remords que parce qu’il aime la fille de Statira éperdument, et il se regarde comme plus criminel qu’il ne l’est en effet : c’est l’excès de son amour qui grossit le crime à ses yeux.

Pourquoi ne voulez-vous pas que Statira expire de douleur ? Lusignan ne meurt que de vieillesse : c’était cela qui pouvait être tourné en ridicule par les méchantes gens. Corneille fait bien mourir la maîtresse de Suréna sur le théâtre :


Non, je ne pleure point, madame, mais je meurs[1].


Vous êtes tout étonnée que, dans l’église, deux princes respectent leur curé ; mais les mystères sacrés ne pouvaient être souillés, et c’est une chose assez connue.

Au reste, nous ne comptons point jouer sitôt Cassandre ; M. d’Argental n’en a qu’une copie très-informe. Si vous aviez lu la véritable, vous auriez vu que Statira, par exemple, ne meurt pas subitement. Ces vers vous auraient peut-être désarmée :


Cassandre à cette reine est fatal en tout temps.
Elle tourne sur lui ses regards expirants ;
Et croyant voir encore un ennemi funeste
Qui venait de sa vie arracher ce qui reste,
Faible, et ne pouvant plus soutenir sa terreur,
Dans les bras de sa fille expire avec horreur ;
Soit que de tant de maux la pénible carrière
Précipitât l’instant de son heure dernière,
Ou soit que, des poisons empruntant le secours,
Elle-même ait tranché la trame de ses jours[2].


Si vous aviez vu, encore une fois, mon manuscrit, vous auriez vu tout le contraire de ce que vous me reprochez. J’ai cru d’ail-.

  1. Suréna, acte V, scène v.
  2. Voyez tome VI, pages 153 et 171.