Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/201

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Vous nous reprochez de la tiédeur ; mais, je crois vous l’avoir déjà dit, la crainte des fagots est très-rafraîchissante. Vous voudriez que nous fissions imprimer le Testament de Jean Meslier, et que nous en distribuassions quatre ou cinq mille exemplaires ; l’infâme, puisque infâme il y a, n’y perdrait rien ou peu de chose, et nous serions traités de fous par ceux mêmes que nous aurions convertis. Le genre humain n’est aujourd’hui plus éclairé que parce qu’on a eu la précaution ou le bonheur de ne l’éclairer que peu à peu. Si le soleil se montrait tout à coup dans une cave, les habitants ne s’apercevraient que du mal qu’il leur ferait aux yeux ; l’excès de lumière ne serait bon qu’à les aveugler sans ressource. Ce que vous savez[1] doit être attaqué, comme Pierre Corneille, avec ménagement.

Ce qui n’en mérite point, c’est le parlement de Toulouse, si en effet, comme il y a toute apparence, les Calas sont innocents. Il est très-important que tout le public soit au fait de cette horrible aventure. Vous n’avez pas donné assez d’exemplaires des Pièces justificatives : à peine les connaît-on ici, et tout Paris devrait en être inondé. Je vous réponds bien de ne pas me taire, et de faire crier tous ceux qui m’écouteront ; jésuites, parlements, janspnistes, prédicants de Genève, franche canaille que tout cela, et, par malheur, canaille méchante et dangereuse. Enfin le 6 du mois prochain la canaille parlementaire nous délivrera de la canaille jésuitique[2] ; mais la raison en sera-t-elle mieux, et l’inf… plus mal ?

Mme  du Deffant me charge de vous faire mille compliments, et de vous dire que si elle ne vous importune point de ses lettres, c’est par attention pour vous et par respect pour votre temps ; qu’elle a pris beaucoup de part au rétablissement de votre santé ; qu’elle est toujours de la bonne doctrine, et n’encense point les faux dieux ; c’est ce qu’elle m’a expressément recommandé de vous dire.

Adieu, mon cher et grand philosophe ; portez-vous bien ; moquez-vous de la sottise des hommes ; j’en fais autant que vous ; mais je n’ai pas la sottise de m’en moquer trop haut ni trop fort ; il ne faut point faire son tourment de ce qui ne doit servir qu’aux menus plaisirs.


4987. — À M.  DEBRUS OU À M.  CATHALA[3].
31 juillet.

Ayant lu la lettre du 26 juillet de Mme  Calas, les lettres de M. Lavaysse des 14 et 15 juillet, je suis toujours d’avis que l’on consulte M. Héron, premier commis du conseil.

Je ne crois pas que monsieur le chancelier puisse trouver

  1. Leçon conforme à l’édition de Kehl. L’original porte : J.-C. doit être attaqué, etc.
  2. L’arrêt du parlement de Paris contre les jésuites est en effet du 6 août 1762 ; voyez tome XVI, page 100.
  3. Éditeur, A. Coquerel.