Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/217

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Je n’ai lu dans Palissot aucune critique des propositions dont vous me parlez : il faut que ces critiques malhonnêtes soient dans quelques feuilles ou suppléments de feuilles qui ne me sont pas encore parvenus.

Vous pouvez m’écrire, mon cher philosophe, très-hardiment. Le roi doit savoir que les philosophes aiment sa personne et sa couronne, qu’ils ne formeront jamais de cabale contre lui, que le petit-fils de Henri IV leur est cher, et que les Damiens n’ont jamais écouté des discours affreux dans nos antichambres. Nous donnerions tous la moitié de nos biens pour fournir au roi des flottes contre l’Angleterre ; je ne sais si ses tuteurs[1] en feraient autant. Pour moi, je défriche des terres abandonnées, je dessèche des marais, je bâtis une église, je soulage comme vous les pauvres, et je dis hardiment par la poste que le discours de maître Joly de Fleury[2] est un très-mauvais discours. Je prends tout le reste fort gaiement, et j’ai un peu les rieurs de mon côté.

J’ai trouvé de très-beaux vers dans le poëme[3] que vous m’avez envoyé ; je souhaite passionnément d’avoir tout l’ouvrage ; adressez-le à M. Le Normand, ou à quelque autre contre-signeur. Vivez, pensez, écrivez librement, parce que la liberté est un don de Dieu, et n’est point licence.

Il y a des choses que tout le monde sait, et qu’il ne faut jamais dire, à moins qu’on ne les dise en plaisantant. Il est permis à La Fontaine[4] de dire que cocuage n’est point un mal ; mais il n’est pas permis à un philosophe de démontrer qu’il est du droit naturel[5] de coucher avec la femme de son prochain. Il en est ainsi, ne vous déplaise, de quelques petites propositions de votre livre. L’auteur de la Fable des Abeilles[6] vous a induit dans le piège.

Au reste, il ne faut jamais rien donner sous son nom. Je n’ai pas même fait la Pucelle ; maître Joly de Fleury aura beau faire un réquisitoire, je lui dirai qu’il est un calomniateur, que c’est lui qui a fait la Pucelle, qu’il veut méchamment mettre sur mon compte.

Adieu, mon cher philosophe ; je vous salue en Platon, en Confucius, vous, madame votre femme, vos enfants : élevez-les

  1. Les membres du parlement.
  2. Le réquisitoire contre Émile, du 9 juin 1762.
  3. Le Bonheur, poëme d’Helvétius, qui ne fut imprimé qu’en 1772. après la mort de l’auteur.
  4. Conte de la Coupe enchantée, vers 45.
  5. De l’Esprit, discours II, chapitre xiv. onzième alinéa.
  6. La Fable des Abeilles est de Mandevilie.