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5212. — À M.  MOULTOU[1].
2 mars 1763.

Mon très-cher et très-aimable prêtre, vous avez très-grande raison de vouloir qu’on fasse sentir que la mauvaise métaphysique jointe à la superstition ne sert qu’à faire des athées.

Les demi-philosophes disent : Saint Thomas est un sot, Bossuet est de mauvaise foi : donc il n’y a point de Dieu.

Il faut dire au contraire : donc il y a un Dieu, qui nous apprendra un jour ce que Thomas d’Aquin ne savait point et ce que Bossuet ne disait pas. Je me suis fort étendu sur cette idée dans un chapitre précédent.

Croiriez-vous que je n’ai plus de pompignades[2] ? Il en faut refaire, il n’est pas juste que vous en manquiez.

L’affaire des Calas prend le meilleur train qui soit possible. Je me flatte toujours qu’on tirera un très-grand bien de cette horrible aventure.

Mme  Denis est toujours bien malade.

Je finis en vous embrassant avec le plus tendre respect.


5213. — À M.  LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, le 2 mars.

Je vois, monsieur, par votre lettre du 18 février, que vous êtes l’apôtre de la raison. Vous rendez service à l’humanité, en détruisant, autant que vous le pouvez, dans votre province, la plus infâme superstition qui ait jamais souillé la terre. Nous sommes défaits des jésuites, mais je ne sais si c’est un si grand bien ; ceux qui prendront leur place se croiront obligés d’affecter plus d’austérité et plus de pédantisme. Rien ne fut plus atrabilaire et plus féroce que les huguenots, parce qu’ils voulaient combattre la morale relâchée. Nous sommes défaits des renards, et nous tomberons dans la main des loups[3]. La seule philosophie peut nous défendre. Il serait à souhaiter que le Sermon des Cinquante fût dans beaucoup de mains ; mais malheureusement je ne puis plus en trouver.

  1. Éditeur, A. Coquerel.
  2. Quelque satire de Voltaire contre Lefranc de Pompignan, une des victimes habituelles de sa verve railleuse.
  3. Voyez, dans les Poésies mêlées, tome X, année 1763, la fable intitulée les Renards et les Loups.