Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/428

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Heureusement le roi s’est moqué des beaux arrangements de M. Bertin ; il nous envoie de l’argent comptant, autre destinée encore très-singulière.

Celle de la veuve Calas ne l’est pas moins ; elle ne se doutait pas, il y a un an, que le conseil d’État s’assemblerait pour elle.

Olympie a encore sa destinée ; elle sera jouée à Moscou avant de l’être à Paris. Une très-mauvaise copie a été imprimée en Allemagne, et j’ai été obligé d’en envoyer une moins mauvaise. La pièce me paraît singulière, et assez rondement écrite. Je la trouve admirable quand je lis Attila ; mais je la trouve détestable quand je lis les pièces de Racine, et je voudrais avoir brûlé tout ce que j’ai fait. Mes divins anges, il n’y a que Racine dans le monde : s’il me vient quelqu’un de sa famille, je vous promets de le bien traiter ; mais pour Campistron, La Grange-Chancel, Crébillon, et moi, nous sommes des gens excessivement médiocres. Ce n’est pas qu’il n’y ait de très-belles choses dans Corneille ; mais pour une pièce parfaite de lui, je n’en connais point. Mes chers anges, je baise le bout de vos ailes avec tendresse et respect.


5225. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Au Plessis, près Senlis, ce 10 mars.

Je vous sais très-bon gré, mon cher confrère, de me communiquer le mariage de Mlle Corneille ; tous les amateurs des lettres y doivent prendre part. Puisque vous, successeur de Corneille, qui avez su l’imiter et le corriger, n’épousez pas sa petite-nièce, je trouve que vous avez bien fait de lui choisir pour mari un capitaine de dragons ; il doit naître d’eux des militaires plus nerveux et plus mâles que la plupart de ceux qui ont figuré dans cette guerre. Je consens très-volontiers que mon nom soit inscrit au bas du contrat. Je n’en connais aucun dans l’Europe qui ne soit honoré d’être à côté du vôtre. Si vous n’aviez fait que de belles tragédies, et le seul poëme héroïque qu’on lise avec plaisir dans notre langue ; si vous n’étiez qu’un historien élégant et philosophe, qu’un homme du monde facile dans son style, piquant et agréable dans ses plaisanteries, vous ne laisseriez pas que d’être le premier homme de lettres de votre siècle ; mais outre les talents de l’esprit et les ressources du génie, vous avez de l’humanité dans le cœur, vous faites du bien aux malheureux, vous dotez la petite-nièce du grand Pierre, après l’avoir élevée : voilà ce qui vous met au-dessus des autres hommes. La bienfaisance est la première des vertus. Je vois assez la plupart des choses de ce monde avec la même lunette que vous, mais il faut convenir que parmi les bouteilles de savon dont vous parlez il n’en est point de plus brillantes, de plus durables ni de plus utiles, que les bienfaits répan-